Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) - Consultant-Délégué ITG (Institut du Temps Géré), premier groupe de conseil en portage salarial.
Une question qui fait débat. Une réponse normande : p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non ! Pour les CCI et autres organisations autour de l’entreprise, longtemps ce fût non, mais les choses changent. Pour Pôle Emploi (ex-Assedic), naguère les refus de prise en compte des nouveaux droits au chômage à la sortie du portage s’appuyaient sur une qualification des personnes en indépendants. Pour les associations, chambres professionnelles et autres syndicats d’entrepreneurs, les portés sont parfois tout juste tolérés. Quant à elles, les sociétés de portage voient assez vite ceux qui sont des créateurs via portage, ceux qui pourront le devenir avec l’appui du porteur et ceux qui vont créer leur entité propre.
Le portage salarial est en train de faire sa mue, après de longues années de pratiques diverses et (a)variées, à la suite des actions menées par les partenaires sociaux depuis 2007 (accord SNEPS) jusqu’à cette extension de l’accord de portage par le Ministre du Travail (Journal Officiel du 24 mai 2013), après un gel de près de 3 ans. Le syndicat des professionnels de l’emploi en portage salarial (PEPS), fusion des 2 syndicats précédemment séparés et représentant 80% de la profession, travaille activement à la finalisation des dispositifs que toute société de portage devra respecter au plus tard en juin 2015. Cette période d’adaptation de 2 ans étant nécessaire pour les structures un peu éloignées des pratiques désormais plus contraignantes, mais déjà connues des sociétés les plus avancées. Ceci va limiter le risque d’arrivée de nouveaux acteurs prétendant “faire du portage” et surfant sur une mode avec jusqu’à présent un très faible droit d’entrée.
La lisibilité du portage salarial va donc progresser fortement auprès des différents acteurs amenés à en bénéficier ou à en faire bénéficier leurs contacts. Quelques exemples : les CCI ne sont pas spontanément motivées à parler du portage salarial dans les réunions d’information, entretiens individuels ou formations habituelles (5 jours pour entreprendre). Certaines personnes le font, d’autres renvoient aux annuaires tels le guideduportage.com ou à leur propre carnet d’adresses de quelques sociétés, en préservant la neutralité de l’information. Tout comme les cabinets qui réalisent des outplacement, des bilans de compétence ou des prestations sous-traitées par Pôle Emploi, les CCI sont en présence de personnes qui ont envie de créer et d’autres qui y pensent, par nécessité ou par opportunité. Lorsqu’il s’agit de projets de prestations de services dits intellectuels aux entreprises, l’alternative à la création d’entreprise fait sens.
Ces entités privées, publiques, territoriales, ainsi que les associations, syndicats ou chambres professionnelles, ont pour vocation d’informer, préparer ou “couver” l’entrepreneur ou l’entreprise en devenir, parfois l’accompagner : tout un éco-système autour de l’entreprise pas encore enregistrée au registre du commerce ou déjà enregistrée. Les salons de l’entreprise sont l’occasion de mettre en scène ces différents acteurs. On y voit aussi des sociétés de portage salarial, ce qui ne manque pas d’étonner parfois certains visiteurs. Lesquels se demandent si le portage salarial est une bonne plateforme pour faire éclore un projet de création : comment ne pas être seul pour développer son activité, créer une nouvelle offre, étendre son réseau, se faire connaître, répondre à des appels d’offre ?
Du côté des classiques couveuses d’entreprise ou des couveuses d’entrepreneurs que sont les CAE1, on a le RC de la couveuse avant de voler de ses propres ailes, même si dans le second cas certains restent dans la CAE en devenant salariés-actionnaires de la coopérative. Du côté des meilleures entreprises de portage salarial, on a l’accompagnement, les formations et les mises en relation qui font d’elles des “couveuses commerciales”. Le professionnel (expert métier, consultant, formateur, prestataire) développe son activité soit pour générer son propre emploi, soit pour tester une nouvelle façon de travailler, soit pour mesurer la viabilité financière et commerciale de sa future entreprise. Il n’est pas seul, il peut échanger avec des collègues et avec des conseillers, même s’il reste totalement aux commandes et responsable de ses propositions commerciales, négociations ou choix professionnels.
Il est clair que la majorité des portés n’a pas forcément le profil ou la vocation pour créer son entreprise. Pour autant, certains évoluent dans un sens ou dans l’autre. Une première tranche découvre en effet qu’ils ne sont pas créateurs au fond d’eux-mêmes : ils vont se rendre plus visibles grâce au travail par missions et pourront plus facilement rebondir voire choisir un nouvel avenir professionnel. Une seconde tranche confirme leur envie viscérale et se comporte exactement comme des entrepreneurs d’eux-mêmes (parfois davantage que les auto-entrepreneurs2) : après une période de décollage souvent de 18 mois, avec des revenus complémentaires (par exemple les indemnités chômage complétant une activité partielle plus souples que les aides aux créateurs), certains se révèlent et restent durablement portés en développant leur activité autonome sous leur propre marque voire en co-traitance avec des collègues. Une troisième tranche concrétise son idée initiale de création indépendante, le plus souvent sous forme de société, ayant donc sauté l’étape de l’entreprise individuelle, pas toujours très crédible pour les clients ni très facile à gérer en termes d’emploi du temps ou de coûts réels.
(1) Les Coopératives d'Activités et d'Emploi se comparent sur certains points aux sociétés de portage salarial, mais avec des activités plus variées et un accompagnement centré sur le projet de création, sa pérennité et son ancrage territorial.
(2) Stéphane Soumier nous rappelait récemment qu’on aurait dû les appeler des “auto-employés” dans son billet d'humeur : “auto-entrepreneurs, c'est à se les mordre !”