Par Laurent Samuel (chroniqueur exclusif) – Consultant secteur associatif
Dans cette curieuse affaire de possibles détournements de fonds aux
dépens de SOS Racisme et de la FIDL, deux associations régies par la
loi de 1901, il paraît encore un peu tôt pour jeter la pierre à qui que
ce soit.
Pourtant, je voudrais ici revenir sur les propos tenus par Me
Dominique Tricaud, l’avocat de SOS Racisme, selon qui «L’argent n’a pas
été détourné de sa destination et personne n’a volé un centime ; après
ça, que sur les règles de la comptabilité, [ces associations] soient nullissimes, je suis tout
prêt à le croire.»
A travers ces propos, on voit s’esquisser une ligne de défense,
consistant selon les termes d’un article de Libération à plaider le
"bordel interne", avec le discours implicite que ces associations
seraient trop absorbées par leur action au quotidien, pour gaspiller
leurs précieuses ressources humaines à mettre en ordre leurs affaires
et tenir leurs comptes à jour.
Il ne m’appartient pas de porter un jugement sur l’efficacité de
cette ligne de défense ; en revanche les propos tenus par l’avocat de
SOS Racisme interpellent tout le monde associatif et nécessitent à mon
sens une mise au point.
L’association 1901 n’est pas une zone de non-droit
Dans l’imaginaire collectif, les structures régies par la loi de
1901 échappent à la plupart des règles de droit. On continue par
exemple de voir des créateurs d’association qui choisissent d’adopter
cette forme juridique pour échapper aux impôts commerciaux, ne pas être
obligé de verser des cotisations sociales sur les salaires et tout cela
avec l’espoir de bénéficier de subventions publiques. Cette idée fausse
alimente d’ailleurs une forme de "racisme" à l’égard des organismes à
but non lucratif, qui se perçoit aisément dans les commentaires à
propos de cette affaire ; les associations pratiqueraient
systématiquement la concurrence déloyale et seraient un lieu de gabegie
et d’impunité généralisées, où tout est permis et rien n’est sanctionné.
Tout cela est rigoureusement faux.
Les associations paient les mêmes impôts que les entreprises lorsque
leurs activités sont concurrentielles ; dès qu’elles ont des salariés,
elles sont redevables de cotisations sociales dans les mêmes conditions
que tous les employeurs et leur régime juridique est à 95% identique à
celui des entreprises lorsqu’elles conduisent des activités économiques.
En ce qui concerne les subventions publiques, elles bénéficient dans
leur immense majorité à des associations qui se situent en dehors du
secteur marchand. Dans ce cas, les obligations réglementaires sont
souvent beaucoup plus lourdes que celles des entreprises, puisque
l’association est en relation directe avec une autorité de tutelle ou
de tarification qui dispose quasiment d’une droit de vie ou de mort sur
la structure.
Les dirigeants doivent des comptes à leurs adhérents et aux dispensateurs de subventions
Bien-sur, sauf cas particuliers,
la tenue d’une comptabilité n’est pas obligatoire pour la généralité
des associations 1901, comme c’est le cas pour les commerçants ou les
sociétés commerciales. Pourtant, de nombreux textes édictent une
quasi-obligation, à commencer par la loi de 1901, qui fait des
dirigeants bénévoles des mandataires de la structure.
Aux termes du Code Civil, les mandataires sont tenus de "rendre des
comptes" à leurs mandants. C’est ce qu’ils font généralement lors de
l’assemblée générale où sont présentés les rapports moral et financier.
Dès que l’association (plutôt son budget) acquiert une certaine taille,
les comptes à rendre ne peuvent prendre qu’une seule forme, la
comptabilité commerciale.
D’ailleurs, il existe un plan comptable pour les associations 1901,
spécialement adapté du Plan Comptable Général, par un règlement n°
99-01 du 16 février 1999 du Comité de la réglementation comptable.
Soutenir que les règles comptables pour les associations sont
inadaptées ou inexistantes est donc une contre-vérité. L’outil est là
et il suffit de la mettre en oeuvre, si quelque chose pêche, c’est la
pratique comptable de ces associations et pas les règles applicables.
Par ailleurs, il faut se souvenir que les associations doivent
produire à l’appui de toute demande de subvention une comptabilité
comportant compte de résultat et bilan. Dès lors qu’elles reçoivent une
subvention, les associations s’engagent à produire un compte-rendu
financier qui repose lui-aussi sur la tenue d’une comptabilité conforme
et à jour.
Utilité sociale et transparence financière sont indissociables
Pour finir, je voudrais revenir sur la situation d’une des
associations impliquées dans cette affaire, SOS-Racisme. Nulle part sur
le site de l’association, je n’ai trouvé trace d’éléments financiers ou
des rapports annuels présentés en assemblée générale. Pour moi, c’est
là que le bât blesse.
Les associations qui vivent essentiellement de subsides publics
(comme c’est le cas -je crois- pour SOS-Racisme) ne peuvent se
contenter de conduire des actions légitimes et nécessaires. Elles
doivent également garantir qu’elles le font au meilleur coût pour la
collectivité.
Lorsque l’association est financée par des fonds publics, l’utilité
sociale se mesure forcément par un rapport entre les bénéfices
collectifs de l’action et son coût pour la collectivité. Raisonner
autrement – comme le fait Maître Tricaud-, en distinguant l’efficacité
sur le terrain et la qualité de l’organisation interne, c’est prendre
le risque que soient remises en cause des actions légitimes et
nécessaires, au prétexte qu’elles ne sont pas conduites de manière
rigoureuse au plan économique.