Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) - Analyste financier
Cela se passe pour chaque professionnel
dans chaque discipline. Au fur et à mesure où il développe son champ
d’expertise, il affine ses sources et ses références en terme de crédibilité et
de qualité. Puisque votre serviteur s’intéresse à l’investissement en actions
depuis une vingtaine d’années, il n’est guère surprenant qu’il ait identifié
certains experts parmi les plus pointus et les plus avisés sur le sujet. Merci
pour lui.
Parmi les 3 chercheurs américains qui
viennent de recevoir le Prix Nobel d’Economie, deux d’entre eux me sont ainsi
bien connus, de même que de mes collègues financiers (du moins ceux qui ne se
contentent pas de jouer au golf avec leurs fortunés clients) : les
Américains Eugene Fama et Robert Shiller ont été primés pour leurs travaux sur
les prix des actifs financiers. Certes, ils n’arrivent pas aux mêmes
conclusions, le premier arguant de l’efficience des marchés et le second étant
connu pour ses travaux sur les bulles, phénomènes qui ne peuvent exister que si
les marchés ne sont pas efficients. Mais, chacun, à sa manière, rentre dans la
grande traditions de ces académiques qui sont en premier lieu des économètres
hors pair. Idem d’ailleurs pour leur co-lauréat Lars Peter Hansen, moins connu
des praticiens.
Bien que non académique, un autre auteur à
garder à l’œil est sans conteste James P. O’Shaughnessy, investisseur et expert
reconnu en analyse quantitative, qui
passe, lui aussi, à la moulinette statistique, les actions et leurs
fondamentaux depuis des lustres. Devenu célèbre avec son ouvrage publié en 1995
et intitulé « What Works on Wall Street » (« Ce qui marche à Wall
Street »), il vient d’effectuer une intéressante mise à jour de ces
travaux dans l’édition d’octobre 2013 du Journal de l’American Association of
Individual Investors. S’il reste fidèle à ses convictions consistant à
rechercher des actions bon marché, il précise sa méthode avec ce conseil :
« Soyez multicritères ! ».
Il encourage ainsi les investisseurs à
considérer trois grands critères (indépendants), à savoir la valorisation, la
santé financière et la qualité des chiffres bénéficiaires. Et, pour chacun de
ces trois critères, il plaide pour la prise en compte de plusieurs indicateurs.
Ainsi, un seul indicateur (disons, le ratio
Cours/Bénéfice par action) d’un seul critère (la valorisation) ne peut en aucun
cas être suffisant pour identifier une « bonne » action.
D’abord parce que ce ratio en tant que tel
peut être biaisé (par exemple par la présence au bénéfice de charges
d’amortissement exceptionnelles) ou encore ne pas être considéré pendant une
certaine période par les investisseurs. Il vaut mieux, en matière de
valorisation, envisager plusieurs indicateurs : l’auteur en identifie
ainsi 5 qu’il combine en une seule mesure qu’il démontre être supérieure, sur
la période 1963-2012 sur le marché américain, aux indicateurs isolés, y compris
sur des périodes courtes de 5 ou 10 ans. Et là où le marché a fourni un
rendement moyen sur la période de 11,1%, les actions les meilleur marché selon
cette méthodologie ont performé à 17,3% en moyenne. Et cette supériorité est,
là aussi, démontrée sur les périodes plus courtes.
Donc, le critère de valorisation fonctionne
assez bien.
Mais ce qui est vrai de la population des
actions bon marché est plus délicat à démontrer dans le cas des actions
individuelles. En d’autres termes, parmi les actions statistiquement bon marché,
certaines fonctionnent notablement mieux que d’autres. Ce qui veut dire aussi
qu’il y a des « canards boiteux » à éviter.
C’est pourquoi O’Shaughnessy recommande
l’ajout de deux autres critères, à savoir la santé financière (endettement) de
l’entreprise et la qualité de ses chiffres bénéficiaires (« la mariée
est-elle moins belle qu’elle ne le paraît ? »). Je n’entrerai pas ici
dans les détails techniques (ceux qui sont intéressés peuvent se référer à
l’article original). Mais sachez qu’une fois de plus, pour chacun de ces
critères, l’auteur inclut 4 indicateurs différents pour être bien certain de
faire le tour de la question. Sous un angle d’apport positif, les résultats
sont moins tranchés pour ces deux critères. Il vaut mieux les utiliser de façon
pénalisante, à savoir en excluant de toute considération à l’achat les actions
d’entreprises les plus faibles financièrement et celles publiant des chiffres
bénéficiaires d’une grande pauvreté qualitative. En effet, sur la période
considérée de 1963 à 2012, ces actions, dans le premier cas, accuse un retard
de performance annuelle moyenne de 5,6% par rapport à la Bourse et, dans le
second cas, de 7%.
Que doit en conclure l’investisseur ?
Il doit d’abord user de son bien le plus
précieux, à savoir son sens critique. Une étude historique américaine ne doit
pas être prise nécessairement pour argent comptant. Les auteurs peuvent se
contredire (voyez Fama et Shiller !) et il est toujours possible de faire
dire aux statistiques ce qu’on veut leur faire dire de telle façon que ce qui
est montré pour hier peut ne pas être valable pour demain. Mais plus l’auteur
est crédible, plus l’étude est longue et plus elle corrobore le bon sens
commun, plus elle doit être prise au sérieux. C’est le cas ici.
Bien évidemment, tout investisseur
individuel n’a pas les moyens de se livrer à une étude exhaustive pour
déterminer les actions bon marché aujourd’hui sur la base d’une telle
méthodologie. Mais, au minimum, il ne se laissera pas abuser par un indicateur
isolé potentiellement fallacieux et, au-delà de leur valorisation, il vérifiera
la qualité et le risque fondamentaux des actions qu’il convoite.
L’article de O’Shaughnessy est ici : http://www.aaii.com/journal/article/what-works-key-new-findings-on-stock-selection