« Petite chronique boursière  » – Les taux d’intérêt sont bas : tout miser sur les actions ?

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Si vous écoutez ou lisez de temps à autre ce que racontent les analystes (journalistes ?) financiers ou, pire encore, les « stratégistes », ces auto-proclamés experts qui auraient, à les en croire, un sens aigu du timing en matière de placements, ils auront déjà très certainement tenté de vous convaincre de l’un de leurs arguments favoris : « En comparaison historique, les actions paraissent un peu chères aujourd’hui mais ce n’est vrai que si vous ne prenez pas en compte le faible niveau des taux d’intérêt. En réalité, les actions rapportent toujours plus que les obligations ».

Avec un œil sur les taux des comptes d’épargne et des obligations, comment ne pas avoir envie de croire ces messieurs/dames en col blanc et propres sur eux ? Après tout, ils sont payés pour savoir ce genre de chose, non ? Qu’ils soient, souvent très bien, payés, cela ne fait aucun doute. Qu’ils parlent d’or, c’est tout autre chose !

De quoi s’agit-il ? Depuis une vingtaine d’années, les banques d’affaires américaines ont popularisé un modèle de valorisation, dit Modèle de la Fed (Fed Model – même s’il ne provient pas de la Federal Reserve, la Banque Centrale américaine), basé sur la comparaison du rendement des actions (Earnings Yield, à savoir le  ratio inversé du plus connu Price/Earnings (PE) ou Cours/bénéfice par action) et du rendement des obligations à 10 ans. Ainsi, si les actions donnent un rendement supérieur (par exemple 5%, soit l’équivalent d’un PE de 20) alors que les obligations à 10 ans ne rapportent que du 2,5%, les actions sont jugées plus intéressantes. Et inversement. Le marché est alors considéré comme raisonnablement valorisé lorsque ces deux variables sont proches l’une de l’autre.

Voilà pour le principe. En pratique, cela ne fonctionne pas si bien. Ici, il s’agit de distinguer l’aspect descriptif d’un modèle et son aspect prédictif. S’il est assez largement vérifié que les niveaux de valorisation des actions ont tendance à augmenter au fur et à mesure que les taux d’intérêt à long terme baissent (aspect descriptif), une comparaison a priori favorable entre le rendement des actions et celui des obligations n’en fait pas un point d’entrée intéressant pour les actions, du moins pour l’investisseur à long terme (aspect prédictif). En d’autres termes, les valorisations d’actions sont souvent élevées (corollaire : de généreux rendements passés) après une période de baisses des taux d’intérêt avec pour conséquence, des rendements généralement décevants pour la période suivante.

La faute évidemment au mouvement de balancier boursier et son fameux retour vers la moyenne (des valorisations). Mais il y a peut-être une autre explication qui prévaut dans le contexte actuel, tirant son origine de l’économie réelle. Elle m’est apparue en lisant une chronique récente de l’entrepreneur et financier Charles Gave sur son site « L’Institut des Libertés » (Googlez, vous trouverez). Que nous explique-t-il ? En période où les banques centrales administrent à la baisse les taux d’intérêt par une politique monétaire volontariste (intégrant des mesures dites non-conventionnelles comme le QE ou Quantitative Easing, rachats massifs de titres sur le marché), elles provoquent des distorsions de comportements. Un taux d’intérêt à 10 ans qui serait en théorie de 5% peut ainsi être « artificiellement » ramené, disons, à 2%. Que vont faire, en pareil cas, tous ceux qui peuvent emprunter, les riches ? Ils vont s’endetter pour acheter des actifs existants bien diversifiés et gagner à tous les coups. Ils n’ont en effet aucun intérêt à prendre un risque en investissant dans une start-up ou un quelconque projet commercial ou industriel « réel ». Les entreprises l’ont d’ailleurs également bien compris ces dernières années, préférant utiliser leur cash à racheter leurs propres actions, plutôt qu’à développer leurs activités. Résultat macroéconomique d’une telle séquence ? La productivité faiblit, faute d’investissement et les bénéfices des entreprises finissent par faiblir également. Ce qui pèse bien entendu sur les cours boursiers. Caricaturons (à peine) : des taux d’intérêt anormalement faibles aujourd’hui impliquent des déconvenues boursières demain, faute de carburant bénéficiaire.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. Je ne vous conseille pas de vendre toutes les actions qui seraient en votre possession. Mais il ne serait pas sage de surexposer ce poste dans vos portefeuilles (notamment concernant les actions des pays industrialisés où la planche à billets a bien fonctionné) avec pour seul raisonnement celui selon lequel le rendement des actions serait aujourd’hui toujours supérieur à celui des obligations.

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