Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Quel est le point commun entre Neil Woodford, Edouard Carmignac et Warren Buffett ?
Il est probable que vous ne connaissiez pas le premier, que vous ayez une vague idée de qui est le deuxième mais que vous situiez parfaitement le troisième. Outre que ce sont trois financiers célèbres, ils connaissent tous les trois, après des succès retentissants, une passe difficile. Ah bon ? Oncle Warren également ? J’y reviendrai.
Commençons d’abord par celui qui est au centre de l’actualité. Si vous croyez que les Britanniques ne parlent entre eux que du Brexit, détrompez-vous. Neil Woodford fait également la une de la presse. Ce gestionnaire de fonds, éminemment réputé et célébré comme le meilleur de son domaine durant les 25 ans de son mandat chez Invesco, où il gérait le fonds actions Invesco Perpetual Income (jusqu’en 2014), est aujourd’hui cloué au pilori. Fort d’une légitime renommée pour avoir traversé sans trop de dommages les deux dernières crises majeures (bulle internet et crise financière), il se lance à son compte en 2015. Les investisseurs lui font confiance et il est couvert d’éloges de toutes parts. Et puis la machine se grippe. Son fonds principal enchaîne les contre-performances et on découvre que ce fonds recèle une forte proportion d’actions de petites entreprises peu liquides et de faible qualité. Pour rester dans le peloton de tête de son métier, l’ami Woodford a pris trop de risques sans en avertir ses clients. Après une suspension en juin, la liquidation du fonds décidée ces derniers jours après la démission du gestionnaire. Le petit investisseur, largement plumé, n’a plus que ses yeux pour pleurer.
Le Français Edouard Carmignac n’a certes pas connu une pareille déchéance. Mais celui par qui toute la presse financière jurait naguère, notamment pour avoir lui aussi bien négocié la crise financière de 2008/9, a perdu de sa superbe. Son fameux fonds Patrimoine n’a pas réussi à tenir le rythme de son indice de référence sur les 10 dernières années. Pendant ce temps, Edouard, tout comme d’ailleurs Neil, de l’autre côté de la Manche, s’enrichissait grâce à des frais de gestion à la douteuse légitimité.
Et Warren Buffett, alors ? L’image du célèbre investisseur philanthrope américain serait-elle également écormée, voire ternie ? J’ai un peu exagéré sur ce point pour retenir votre attention, je l’avoue. Mais des études ont été menées avec comme conclusion qu’il n’y a pas de magie dans la performance sur longue période de Warren Buffett. Il a surtout exploité des “facteurs” (à la base des rendements des actions) qui ont été depuis lors mis en lumière par les chercheurs académiques. Reconnaissons que le génie de Buffett est d’en avoir profité avant ces découvertes et pendant une période où cette méthode marchait à plein. Il n’empêche : la recette a fonctionné moins bien ces dernières années et le Sage d’Omaha, à la tête de Berkshire Hathaway, n’a pu éviter quelques fâcheuses erreurs comme ses investissements dans IBM et surtout Kraft Heinz.
Que retenir de tout ceci ?
- Tout d’abord, et plus que jamais, ce qui fonctionne pendant une période, plus ou moins longue, peut s’arrêter de fonctionner par la suite. C’est la fameuse formule, trop souvent prise à la légère : “Les performances passées ne garantissent pas les performances futures”.
- Ne vous laissez pas abuser par le “star system” du secteur financier. Il y a une vingtaine d’années, les gourous boursiers avaient droit de cité partout, y compris dans les cénacles universitaires. Aujourd’hui, les quelques noms qui subsistent sont entourés d’un halo de scepticisme qu’il sera difficile pour eux de dissiper.
- Tout ceci à avoir, bien entendu, avec ma chronique précédente sur le succès des ETFs, ces trackers boursiers qui se cantonnent à suivre des indices en minimisant les coûts. La gestion passive (indicielle) taille de plus en plus des croupières à la gestion active (celle des Woodford, Carmignac et même Buffett). Est-il désormais impossible de battre le marché ? Ce qui est certain, c’est que plus vous gérez un gros portefeuille (ce qui finit inévitablement par arriver aux fonds qui ont du succès), plus il est compliqué de surperformer l’indice. Les dinosaures sont bel et bien menacés d’extinction. Ce ne sera désormais que dans la pénombre, hors des feux des projecteurs médiatiques, qu’une minorité d’acteurs satisferont – peut-être – aux exigences d’une clientèle restreinte et avisée.