L’homo economicus n’existe pas : place aux vrais humains

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président-Fondateur du cabinet de conseil en stratégie et management PMP et co-fondateur de Youmeo un innovation Lab et conseil en innovation

Quand il s’agit de prévoir, de faire de la prospective, on aime bien solliciter les économistes. Car la science économique, parmi toutes les sciences dites « sociales », Car, comme le rappelle Jean Tirole, Prix Nobel d’économie 2014, dans une tribune du Monde de ce dimanche 8 octobre, « L’économie a construit son identité au XXème siècle à travers, d’une part une emphase particulière sur des méthodes statistiques et quantitatives, et, d’autre part, le concept d’homo economicus ».

Pourtant on constate depuis quelques décennies maintenant que ces présupposés théoriques de la science économique fondés sur cet « homo economicus » ne permettent pas de correctement prévoir et anticiper les comportements humains du futur. Et ainsi d’est développée une nouvelle discipline dérivée de la science économique, « l’économie comportementale ». Un de ses représentants célèbres est Richard H. Thaler, prix Nobel d’économie 2017, après Daniel Kahneman en 2002 et aussi Robert Shiller en 2013. On publie ce mois ci la traduction française de son dernier opus, «  Misbehaving, les découvertes de l’économie comportementale ».

Car ces chercheurs ont découvert ce qui ne va pas dans les principes de la pure théorie économique.

Le premier principe est que les gens font des choix « optimaux » : en clair, ils font des choix en fonction de leurs « anticipations rationnelles », c’est-à-dire que l’on choisit toujours ce qu’il y a de mieux pour nous, dans le cadre d’un budget. Mais en fait nos comportements ne sont pas toujours aussi « rationnels » que le suppose cette théorie. Nous pouvons avoir des objectifs complexes, qui diffèrent selon les individus. Ces choix peuvent aussi dépendre de nos humeurs, du stress ou de la fatigue du moment. De même, dans les rayons d’un magasin d’alimentation qui propose des millions de combinaisons d’articles, est-on sûr de faire le choix de la meilleure par rapport à notre budget ?

Deuxième principe de la théorie économique : l’équilibre. Il suppose que sur les marchés dits « concurrentiels », où les prix sont libres de baisser et de monter, les fluctuations de prix font en sorte que l’offre égale la demande. Là encore, cela ne tient pas compte des biais qui apparaissent dans la façon dont les gens font leurs choix, en fonction de leurs croyances. On peut payer cher un truc sans valeur par passion. Mais pour la théorie économique, comme le dit Richard H. Thaler, la passion n’existe pas ; l’homo economicus est un « optimisateur à sang froid, un peu comme M. Spock dans star Trek ».

Alors, comment s’en sortir ?

Pour mieux anticiper et comprendre les comportements humains, et améliorer nos capacités à prévoir, la solution, correspondant aux recherches de l’économie « comportementale », est de mieux faire collaborer l’économie avec la psychologie et les autres sciences sociales comme la sociologie et l’ethnologie. C’est ainsi que Jean Tirole prévoit que « la science sociale de demain sera plus unifiée ». Il s’agira ainsi de mieux prendre en compte la complexité humaine dans les travaux. Et permettre ainsi que l’économie et la sociologie s’enrichissent mutuellement.

C’est ainsi qu’en prenant mieux en compte les vrais humains nous serons à même de mieux nous diriger dans le futur incertain, sans être trop éblouis par une science économique de l’homo economicus qui a déjà été la cause d’aveuglements, de fausses prévisions, et d’erreurs, qui a fait qu’aucun économiste n’a vu venir la crise financière de 2007-2008,

C’est pourquoi les équipes, y compris dans nos entreprises, dans les équipes de consultants, mais aussi, mais oui, dans nos instances d’Etat, vont avoir de plus besoin de diversité, de transversalité, de co-conception, d’intelligence collective. Au risque que les économistes traditionnels nous emmènent dans le mur.

Il y a encore du travail tant nous semblons parfois en être encore très loin.

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