Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
98% !
C’est le pourcentage des personnes qui ont fait l’expérience
au travail de comportements incivils, grossiers, impolis. Ils déclarent se
faire rudoyer au moins une fois par semaine.
C’est le résultat d’une enquête menée par deux
universitaires américains, Christine Porath et Christine Pearson, et à laquelle elles consacrent un article
dans le numéro de janvier-février de la Harvard Business Review.
L’enquête a été menée aux Etats-Unis et au Canada, en
interrogeant 14 000 personnes pour comprendre les types, les causes, les
coûts et les remèdes à ces incivilités.
Ce qui est sûr, c’est que quelqu’un victime d’impolitesse
régira plutôt négativement. Les collaborateurs sont moins créatifs lorsqu’ils se
sentent insuffisamment respectés ; certains même ne le supportent pas et
quittent l’entreprise.
Pas besoin d’aller aux Etats-Unis ou au Canada pour
retrouver des situations connues dans les exemples proposés par les auteurs.
C’est ce manager, « The Boss », qui s’énerve
contre ses collaborateurs quand quelque chose ne tourne pas comme il le voudrait, traitant les uns d’incapables, les
autres de nuls. Et il est comme ça aussi, souvent, avec les clients. C’est un
dur, un vrai, il ne se laisse pas faire….On le déteste, surtout si il arrive à
faire croire à ses supérieurs, le « Big Boss », qu’il est un manager
qui « en a » et qui mène les affaires comme un chef.
Parfois, c’est tout un service, tout un Département, de
l’entreprise qui se trouve infecté ce genre de comportements, qui se répètent
par mimétisme tout le long de la ligne hiérarchique ou entre collègues. Comme
la propagation d’une agressivité, le manque de respect devenant la règle.
Alors, on ne voit plus d’inconvénient à traiter toute la journée ses collègues
de « connes » ou de « sale type », en direct ou derrière
son dos. Cela devient une règle, voire une coutume : d’où ces réunions où
quelqu’un d’extérieur, un consultant par exemple, va vivre des scènes
d’agression verbale, de manque d’écoute, effarantes. Cela peut prendre des
formes insidieuses : le patron qui lit ses e-mails pendant que ses
collaborateurs lui présentent une analyse sur laquelle ils ont passé plusieurs
heures, et qui se sont préparés à cette présentation avec l’envie de bien faire.
On imagine bien combien ils vont se sentir comme humiliés par cette attitude.
Même des petites choses peuvent avoir des conséquences
insoupçonnées : les petites blagues avec allusions sexistes du directeur
Commercial, oui celui qui se prend pour le super vendeur, par exemple ; on
les supporte, mais pas tant que ça. En tout cas, on évitera d’aller déjeuner
avec lui à la cantine.
Cela rappelle aussi ce Directeur Commercial qui a le
sentiment que la Directrice Juridique fait tout pour lui compliquer la vie et
l’empêcher de bien vendre, et qui confie
à qui veut l’entendre qu’il va la « neutraliser, cette emm…deuse ».
Et pour cela va concocter les plans et les agressions les plus machiavéliques.
Le danger de tels comportements n’est pas limité aux individus
qui en sont les victimes ; le
simple fait d’assister à ce genre d’incivilités a aussi un impact
indirect : je vois mon collègue se faire insulter, ou insulter son
assistant, et cela agit aussi sur mon moral, ma productivité, mon intérêt pour
mon travail.
Pour les victimes, directes ou indirectes, les conséquences,
et donc les coûts pour l’entreprise, tels que relevés par l’étude, sont
énormes :
48% vont faire moins d’efforts dans leur travail, 38% vont
intentionnellement baisser la qualité, 66% voient leur performance au travail
baisser, 78% perdent confiance dans leur entreprise, 25% disent qu’ils vont
reporter leur frustration sur les clients. N’en jetez plus !
Les conséquences les plus coûteuses et les plus graves ne
sont parfois même pas perçues par les managers et les dirigeants :
–
Perte de créativité, peur de sortir du cadre,
conformisme,
– Détérioration de la performance et de l’esprit
d’équipe : les témoins d’incivilités vont avoir tendance à se replier, à
moins proposer leur aide à leur collègues, à ouvrir le parapluie pour ne pas
s’exposer à trop de risques, car il vaut mieux « la fermer » que de
vouloir aider « tous ces cons »…
–
Eloignement des clients : ces restaurants
où les chefs agressent et insultent les employés, on n’aime pas trop y
retourner ; ces commerciaux qui ridiculisent leur collaborateur, on n’a
pas envie de lui acheter quoi que ce soit, etc..
–
Manager les incidents est très coûteux :
quand ça chauffe vraiment, il faut intervenir, le directeur des Ressources
Humaines, le dirigeant, mais aussi les consultants, voire les avocats, les
médecins,…Tout ça coûte plus que l’on ne croit ; et pendant que l’on
traite ces sujets, on n » s’occupe pas des clients, ni du business,
Alors, comment faire quand l’entreprise en est arrivé à une
telle extrémité ?
Déjà, première chose : en prendre conscience. Selon les
auteurs de l’article, c’est ce qui est le plus difficile, et le moins répandu.
Dans de nombreuses organisations, on laisse faire car, même si on en comprend
le problème moral, on n’en voit pas les conséquences négatives sur la
performance et la santé financière de l’entreprise. Voire même, on trouve ça
pas si mal : « au moins dans notre entreprise, on se dit les choses,
et quand on s’engueule, au moins on s’explique »…On entend ça souvent dans
ces atmosphères sulfureuses chargées d’incivilités petites et grandes.
Ensuite, il s’agira pour le dirigeant de se changer
lui-même, puis de changer l’organisation.
Le sujet pour le
dirigeant, c’est : comment créer une culture du respect ?
Pourquoi ne pas commencer par envoyer des appréciations
positives autour de soi : L’article donne un témoignage de Doug Conant,
qui a été le CEO de Campbell Soup et a, pendant tout son mandat, envoyé plus de
30 000 notes manuscrites pour remercier des employés de son entreprise.
Pour l’organisation, les auteurs recommandent de considérer
la civilité comme un critère de recrutement, et de départ. Ensuite, il va
s’agir d’enseigner le respect et la civilité, en créant par exemple des groupes
qui vont fixer les normes que tout le monde voudra partager. On pourra aussi
récompenser les bons comportements. Christine et Christine citent le cas de
l’entreprise Zappos qui a instauré un système original de récompense :
Tout employé, quel que soit son niveau, qui voit un collègue faire quelque
chose de spécial peut lui accorder un « Wow », qui lui fera recevoir
un bonus de 50$. Ceux qui auront reçu des «Wow » sont alors éligibles pour
le prix du « Héros » : Les héros sont choisis par le Comité
Exécutif ; ils reçoivent une place de parking couverte pour un mois, une
carte cadeau Zippos de 150$, et, symbole des symboles, une vraie cape de héros.
Bien sûr, chacun choisira son style et les actions les plus
appropriées pour son entreprise, son équipe.
Dans tous les cas, comme toujours, le plus dur c’est de
commencer.
Alors, en ces temps où dans nos affaires, nos entreprises,
on cherche les meilleurs leviers et les meilleures pratiques pour améliorer la
performance, avant de lancer le « big program » de Transformation, et
si on apprenait juste à se dire Bonjour et Merci ?
Merci.