Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Et si ce bon docteur Freud venait au secours de la planète Finance ?
Il y a un siècle, il nous apprenait en effet que les émotions et l’inconscient jouent un rôle central dans la façon dont nous intéragissons avec le monde qui nous entoure.
Or, tout investissement implique des décisions en situation d’incertitude et génère donc de l’anxiété. Gérer cette anxiété revient à tendre vers l’ou ou l’autre de ces deux états psychiques : un état dit « dépressif » (D) ou un état dit « paranoïaque-schizoïde » (PS). Dans l’état D, l’investisseur tente d’appréhender la réalité dans ses nuances en comparant le potentiel de gain avec le risque de perte. Mais dans l’état PS, l’investisseur évacue les éléments déplaisants dans son inconscient pour se recentrer exclusivement sur ce qui est positif pour lui. Son jugement devient fantasmatique : le principe de plaisir prend alors le pas sur le principe de réalité. Le fantasme chez l’adulte investisseur remplace ainsi le jeu chez l’enfant. Ne dit-on pas que nous courons toute notre vie après notre enfance ?
Souvent assimilée à un gigantesque casino et, par ailleurs, sujette à des effets de mode à répétition, la Bourse encourage des comportements basés sur un état de type PS. Cela peut intervenir au niveau des individus isolément ou alors au niveau de populations d’investisseurs. Une excitation initiale (pour une nouvelle technologie, pour un changement supposé d’environnement économique), si elle perdure quelque temps, se transforme alors en une euphorie où l’excès de confiance des investisseurs devient la règle. Et lorsque, finalement, la réalité rattrape et démolit le fantasme, le risque qui était tapi dans l’inconscient des investisseurs rejaillit brusquement. Notons que, le plus souvent, aucune nouvelle information n’apparaît pour expliquer cette disruption : auparavant, les investisseurs ne voulaient simplement pas voir les éléments qui auraient pu les soustraire à leurs rêveries. Mais, plutôt que de s’en prendre à eux-mêmes pour leur imprudence, ces investisseurs cherchent inévitablement des boucs-émissaires : les analystes financiers lors de la bulle Internet ou encore les agences de notation dans l’actuelle crise des subprimes.
Merci aux Professeurs Richard Taffler et David Tuckett pour avoir lancé cette nouvelle discipline de la « finance émotionnelle ».
L’investisseur retiendra :
1. Les émotions font partie intégrante des individus : il est donc parfaitement « rationnel » d’agir « émotionnellement ». Ce qui est nécessaire, c’est une nouvelle théorie qui en tienne explicitement compte de façon à mieux investir.
2. Une Bourse est généralement lancée dans un mouvement purement spéculatif lorsque ceux qui doutent du bien-fondé économique des cours des actions sont ignorés, marginalisés ou ridiculisés. Le sentiment prévaut alors sur la pensée. Précisons que cette situation existe à la hausse (« bulle ») mais également à la baisse (« anti-bulle ») lorsque le pessimisme le plus noir envahit le marché. Une situation « normale » sera caractérisée lorsqu’il y a, par l’analyse (et donc la pensée), une juste prise en compte des éléments positifs et négatifs.
3. Etant donné la force d’enracinement d’un état psychique de type PS, une mauvaise nouvelle touchant un actif ou une catégorie d’actifs devenus des « fantasmes » (positifs) ne sera généralement que partiellement reconnue par les investisseurs : en d’autres termes, on peut s’attendre à ce que la réaction boursière négative se déroule en plusieurs étapes, le temps que la prise de conscience s’effectue.
4. L’investisseur qui s’est laissé piéger par un fantasme doit effectuer un retour sur lui-même pour comprendre ses propres erreurs : ce n’est qu’ainsi qu’il sortira de son déni de la réalité.