Petite chronique boursière : L’inévitable spéculation liée aux actions individuelles

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Dans une de ses chroniques récentes, Jay Mooreland du blog “The Emotional Investor” déplorait (une nouvelle fois) le peu de sagacité des “experts” financiers quant à leurs recommandations en actions individuelles. Celui qui aurait suivi les conseils (49 au total) prodigués pour 2018 par ces sur-diplômés, tels que repris dans le prestigieux hebdomadaire américain Barron’s, aurait affiché une performance négative de 11,4% (en dollar). Soit encore moins que la Bourse qui, elle-même, ne s’en sort pas très bien (-4,4% pour le S&P 500).

Et notre blogueur de regretter qu’une mention telle que “Ces conseils ne vous sont donnés qu’à des fins de divertissement. Ne risquez pas vos économies sur cette base” ne soit pas obligatoire pour accompagner ce genre d’article. Ou, à tout le moins, selon lui, la performance passée de ces experts devrait être mentionnée pour que le lecteur-investisseur puisse juger de leur capacité. Je suis naturellement d’accord avec lui : l’attention du lecteur doit être attirée sur le caractère très spéculatif de tels conseils. Car ceux-ci ne s’adressent qu’à ceux qui savent où ils mettent les pieds. Il n’empêche : pleinement conscients des risques (et de leurs propres biais cognitifs) ou pas, ils sont encore nombreux ceux qui aiment “jouer” les actions individuelles. Et on peut parfaitement soutenir l’idée selon laquelle, totalement livrés à eux-mêmes, ils réaliseraient une performance encore inférieure à celle des experts.

Mais, après tout, pourquoi, dans un tel cadre, cette incapacité chronique à battre l’indice est-elle une telle fatalité ?

Restons aux Etats-Unis, là où les données historiques et statistiques en tous genres sont les plus abondantes. Le premier argument venant à l’esprit est celui, bien connu, de l’efficience des marchés : à tout moment (ou presque), les cours des actions intègrent correctement l’information disponible. Il y aurait à redire sur le sujet mais reconnaissons que les résultats de bon nombre d’études sur le sujet accréditent plutôt cette thèse. OK, il est difficile de battre le marché. Mais pourquoi faire quasi-systématiquement moins bien que lui en optant pour une sélection d’actions individuelles ?

La raison est ailleurs. En fait, les dés sont pipés. Et les investisseurs en sont peu avertis. De 1926 à 2016, seules 42,6% des actions cotées ont fourni des rendements supérieurs au taux sans risque. En d’autres termes, 57,4% des actions ont détruit de la valeur. Ce qui est énorme. Mais ça va plus loin. En fait, seule une petite minorité des actions (seulement 4,3% !) est à l’origine de la totalité de la richesse créée, permettant d’aboutir au rendement annuel moyen (excédentaire au taux sans risque) pour toute la Bourse de 8,5% sur la période. Pour ceux qui se posent la question, 38,3% (42,6% – 4,3%) d’actions ont donc un rendement positif juste suffisant pour compenser dans leur ensemble les rendements négatifs des 57,4%.

Tout le monde comprend que, dans ces conditions, il est difficile pour un “stock picker”, via la sélection de quelques actions, de battre la Bourse, et plus encore de la battre significativement, s’il n’a, en moyenne, qu’une chance sur 25 de trouver une perle … dont la rareté ne se vérifie évidemment qu’après coup !

Continuons à réfléchir sur cette base. Pour ce qui est de cette vaste population d’actions à rendements négatifs, l’explication est sans doute fournie par le professeur Aswath Damodoran via un graphique repris d’un des posts récents de son blog “Musing on Markets”.  

RDC

Selon ce graphique, à l’échelle mondiale, près de 59% des entreprises seraient caractérisées par une rentabilité du capital investi (ROIC, Return On Invested Capital) (souvent nettement) inférieure à leur coût du capital (WACC, Weighted Average Cost of Capital). Ce qui, en termes économiques, se traduit par la destruction de richesses. Pour les Etats-Unis, le chiffre est de près de 58%. Tiens, tiens, à quelques dixièmes près, on retrouve le chiffre de 57,4% évoqué plus haut. Remarquons que, malgré les avancées présumées de la “science” du management, les chiffres de 2019 de rentabilité des entreprises ne semblent guère différents de ceux que l’on peut deviner pour les 90 années précédentes à la lumière des performances boursières historiques.

Et pour ce qui est de la concentration de la création de richesse au sein d’un nombre très réduit de valeurs, il faut bien évoquer ici l’existence d’effets de réseau, selon lesquels une minorité d’entreprises parviennent, d’ailleurs de plus en plus rapidement dans nos économies modernes, à dominer leur industrie. Winners take it all …. jusqu’à ce que la destruction créatrice (rebattage des cartes) ne vienne bouleverser l’équilibre précédent. Ce qui survient, là aussi, de plus en plus rapidement …

Références :

 http://theemotionalinvestor.org/how-did-wall-streets-smartest-investors-fare-in-2018/

https://globalinvestmentstrategy.wordpress.com/2019/01/28/baseball-and-stocks-games-of-failure/

http://aswathdamodaran.blogspot.com/2019/01/january-2019-data-update-6.html

 

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