Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) - Consultant-formateur, Délégué Régional ITG, première société de portage salarial en France.
Un an après le lancement très médiatisé du régime d’auto-entrepreneur, il est difficile de faire un bilan tant les situations sont diverses. Pour s’en tenir à l’objet de cette chronique, je me concentrerai sur les activités de service aux entreprises. Et dans ce domaine, comme l’ont observé mes collègues et partenaires au contact des créateurs ou des demandeurs d’emploi intéressés par cette formule, les effets pervers tendent à annuler les avantages annoncés, voire à produire des résultats contraires à ceux espérés : frais non imaginés au départ ou non pris en charge, prix de vente réduits, gains nets inférieurs au portage salarial.
Les services aux particuliers et le commerce ont suscité beaucoup d’inscriptions, dans l’espoir de compléter ses revenus pour les uns, de créer une nouvelle activité pour les autres. C’est ce qui explique principalement la progression énorme de ce que certains appellent un peu vite la création d’entreprise. Si plus de 500 000 nouvelles inscriptions ont été enregistrées en 2009, l'auto-entreprise représente près de 60% du total. Mais, comme le dit le Journal du Net, dans un article du 5 janvier, le succès de ce régime “cache une réalité moins riante” (lire l’extrait de l’article*).
Côté services aux entreprises, ce sont les prestations liées à l’informatique et à la communication (web notamment) qui dominent, ainsi que d’autres activités dites de “soutien aux entreprises”, habillage sémantique de certains emplois productifs pour des entreprises qui ne peuvent embaucher. J’ai même entendu, il y a quelques semaines, un distributeur de produits demandant dans une réunion organisée par la Maison de l’Emploi de Bordeaux s’il y avait d’autres solutions plus intéressantes que de “mettre mes nouveaux commerciaux en auto-entrepreneurs” (sic !). Cette expression malheureuse a même été prononcée devant un représentant de la Direction Départementale du Travail !! L’idée étant : comment payer moins les personnes, en leur imposant de s’inscrire comme auto-entrepreneur, voire en les inscrivant à leur place pour se protéger contre une sortie du régime, moins intéressante pour ces prédateurs, profiteurs de la misère croissante du marché de l’emploi.
Heureusement, les EPS (entreprises de portage salarial) sérieuses et éthiques — celles qui entre autres choses s’en tiennent aux prestations intellectuelles (non règlementées) — ne se hasardent pas à porter les activités purement commerciales, les agents immobiliers, les artisans ou toutes sortes de métiers productifs ou opérationnels. Elles établissent un contrat de travail en bonne et due forme, couvrant des missions clairement définies par le professionnel et son client : bordées dans la durée, avec des honoraires fixes, etc. Pour les entreprises clientes, c’est une garantie qui les protège contre la re-qualification en contrat de travail. Pour les professionnels autonomes qui rejoignent les meilleures EPS, c'est également une garantie de sécurité aux plans financier, de la protection sociale et de l'assurance responsabilité professionnelle.
Face à la quête du statut idéal, il arrive que des porteurs de projet préfèrent l'auto-entreprise au portage salarial. Le plus souvent, c'est l'argument financier qui retient l'attention, pas celui de l'indépendance, car il ne s'agit pas pour eux de créer (au départ, voire plus tard) une véritable entreprise, sinon ils auraient opté pour la création d'une Société qui entre autres choses protège leur patrimoine. Or, l'argument financier des cotisations sociales et fiscales réduites est trompeur : il est simplement celui que les promoteurs de ce régime ont mis en avant. Car on oublie de souligner les nombreux inconvénients : les calculs des cotisations et impôts se font sur le chiffre d'affaires encaissé de l'auto-entrepreneur ; il ne peut pas déduire ses charges de son bénéfice, comme un entrepreneur en Société ou un salarié porté, via des notes de frais qui s'imputent sur son CA et affectent donc beaucoup moins le salaire net qui lui est versé ; il n'est pas assujetti à la TVA, ce qui est pénalisant pour les prestations aux entreprises qui, elles, récupèrent cette TVA ; il ne peut pas non plus déduire la TVA de ses achats. Et que dire des revenus différés, comme on les appelle ? Sa couverture sociale est réduite, car il ne cotise qu'aux régimes obligatoires. Ses droits à la retraite sont inférieurs à ceux du régime général : pas de régime complémentaire de retraite ni de prévoyance. Il n'est pas assuré en cas d'arrêt maladie, pendant la première année. Il ne bénéficiera pas non plus de l'assurance-chômage.
En résumé, il paye moins et il a moins de sécurité et moins de prestations sociales, ce qui est normal : donc moins de gains au bout du compte. Mais, au delà, il court également le risque de gagner moins tout de suite, car il facture souvent moins cher, sans compter les clients qui ne règlent pas la facture. L'auto-entrepreneur débutant a tendance à calculer le prix de sa prestation à partir de ses coûts apparents : revenus souhaités moins charges prévues. Et souvent le client le sait et en profite ! Alors que le créateur ayant choisi le portage salarial a tendance à agir comme le vrai entrepreneur qui crée sa société : il calcule ses prix de vente en fonction des prix du marché et il négocie en fonction des critères les plus objectifs possibles (durée de la mission, secteur ou taille de l’entreprise cliente, etc.).
(*) La réalité des création, commentée par le Journal du Net : "En effet, selon nos calculs, la création d'entreprise, hors auto-entrepreneurs, a baissé de 23% sur les 11 premiers mois de l'année par rapport aux 11 premiers mois de l'année 2008, passant de 305 025 à 236 144 unités. […] sur les 291 921 auto-entrepreneurs enregistrés, près de 60% seraient inactifs. Ce qui ne laisse plus que 116 769 auto-entreprises réellement actives. Si l'on ne tenait compte que de ces dernières, l'augmentation du nombre d'entreprises ne serait donc plus de 73% sur un an (11 mois cumulés), mais de 35%". Concernant les revenus des auto-entrepreneurs, le Journal du Net commente en conclusion l’enquête récente d’Opinion Way : […] “moins d'un tiers parvient à tirer de leur auto-entreprise la majorité de leurs revenus. Des revenus estimés en moyenne à 775 euros net par mois, l'équivalent du seuil de pauvreté en France.”