Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Il s’agit d’une évolution qui prend les allures d’une révolution. Et le propre d’une révolution est qu’elle n’est pas facile à inverser. Aujourd’hui, un peu partout sur la planète, de moins en moins d’investisseurs s’intéressent aux actions individuelles. Quelle est la dernière fois qu’un de mes amis m’a demandé un conseil sur l’action Trucmuche ou Machinchose ? Eh bien, cela fait très longtemps (et pas spécifiquement parce qu’ils croient que je suis plus abruti qu’un autre sur ce sujet) …
Cela peut sembler paradoxal. Après tout, même si on constate un frémissement à la hausse depuis quelques mois, les taux d’intérêt restent à des niveaux historiquement bas. Ce qui devrait pousser les investisseurs à tenter leur chance sur des actions. Et d’ailleurs, comment prétendre à un désintérêt pour les actions alors que les Bourses sont proches de leurs sommets, aux Etats-Unis et en Europe (du moins lorsqu’on considère les niveaux atteints une fois les dividendes réinvestis) ?
La contradiction n’est qu’apparente. Certes, et j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici-même récemment, les épargnants laissent trop de cash sur leurs comptes, surtout s’ils ont plusieurs années devant eux avant d’avoir besoin de cet argent. Un peu partout, l’inflation reprend du poil de la bête et se situe à un niveau supérieur aux taux d’intérêt. Ce qui se traduit par une baisse du pouvoir d’achat ou, pour reprendre une expression à la mode, l’euthanasie du rentier. Mais les investisseurs, qui sont rarement des jeunes gens de moins de 30 ans, ont encore en souvenir les déconvenues de la crise financière de 2008/09, voire pour les plus âgés, celles liées à l’éclatement de la bulle technologique autour de l’an 2000. Ils ont tous, ou presque, en mémoire l’écroulement de la valeur de leurs actions informatiques (2000) ou bancaires (2008). Et donc, aujourd’hui, ce qui a le vent en poupe, ce sont les fonds. Et pas n’importe quels fonds : les ETFs, (Exchange Traded Funds), à savoir ces fonds cotés en Bourse qui répliquent un indice ou suivent scrupuleusement (quantitativement) une philosophie de gestion. A leur niveau, banques centrales et institutionnels investissent également dans les indices boursiers, achetant sans discrimination.
Il faut dire que ces fonds ont tout pour plaire : des frais réduits au maximum, une diversification assurée et une performance supérieure, du moins ces dernières années, aux autres fonds, gérés eux activement, à savoir résultant de choix délibérés de leurs gérants. Les investisseurs ont donc la sensation que, cette fois, ils se mettent moins en danger. Mais l’enfer, pavé de bonnes intentions, avance masqué. D’une part, cela reste, le plus souvent, des actions. D’autre part, la complaisance avec laquelle sont considérés aujourd’hui ces produits est porteuse de risques sous-estimés. Les Bourses, en effet, battent record sur record ; leur volatilité, malgré les incertitudes géopolitiques et économiques mondiales, est au plus bas sur plusieurs années. Le Brexit, l’élection de Trump, les présidentielles françaises et l’avenir de l’euro, tout semble se diluer dans une bienveillante torpeur. Or, celui qui connaît un peu l’histoire boursière sait que c’est dans ce genre de période que les risques sont les plus grands. Certaines valorisations, surtout aux Etats-Unis, deviennent inquiétantes. La toute récente introduction en Bourse et en fanfare de Snap, l’entreprise (en pertes) qui gère l’application Snapchat, n’est pas sans rappeler les excès de la bulle technologique. Les banques, un peu partout et surtout en Europe, restent dans une situation de grande fragilité.
Alors, oui, c’est vrai. Les petits investisseurs sont restés longtemps en dehors du redressement boursier après la dernière crise. Ils ont négligé, et cela peut se comprendre, les actions individuelles qui leur ont apporté tant de déconvenues. Mais, encouragés à présent par la presse financière, par les meilleurs experts (Warren Buffett tout récemment) et demain peut-être par l’essor des conseillers-robots, ils placent massivement leur épargne dans les ETFs. Qu’ils soient néanmoins avertis : s’ils considèrent à nouveau la Bourse comme un casino, surtout en ayant le sentiment d’un risque moindre, ils s’exposent à en sortir une nouvelle fois plumés. A tout le moins, qu’ils optent avec mesure pour des ETFs investissant « intelligemment ». Car cette fois, en cas de pépin avéré, il faudra attendre bien longtemps avant de voir revenir le petit investisseur ! Vous avez dit perdant perdant ?