Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
La Bourse est un sujet glissant. Parfois on croit savoir quelque chose et on s’aperçoit assez vite que la réalité est différente. En Bourse plus qu’ailleurs, les évidences ne sont que des mirages et les apparences sont toujours trompeuses. La subtilité boursière trouve sans doute son origine pour partie dans l’incertitude de facto de l’environnement économique et pour partie dans le comportement psychologique de millions d’investisseurs qui s’épient et se jaugent. Un peu comme une immense partie de poker avec sa part inaliénable de bluff. Ou encore comme aux échecs : pour gagner, il faut voir plusieurs coups à l’avance.
Pour illustrer la subtilité de la « chose boursière », j’ai choisi 3 sujets dont je vais brosser rapidement les contours avant, peut-être, de les développer à l’occasion de prochaines chroniques.
1. Avec ou contre la tendance ?
J’ai déjà évoqué le sujet du « momentum » : cette
anomalie suivant laquelle une action qui a bien performé au cours des derniers
mois a de bonnes chances de continuer à le faire au cours des mois suivants. On
pourrait en conclure que l’investisseur a tout intérêt à suivre le sentiment
général qui prévaut en Bourse : acheter si les journaux financiers voient
l’avenir en rose et vendre dans le cas contraire. Gardez-vous en ! En
Bourse, un sentiment positif est plutôt le signe avant-coureur de rendements
orientés à la baisse, voire même négatifs. Un sentiment négatif sera davantage
porteur, même à court terme. Pourquoi ? Parce que les investisseurs
exagèrent régulièrement à la hausse et à la baisse. Quant au momentum, il
existe principalement dans le cadre d’actions individuelles et non de secteurs
ou de pays.
Conclusion : idéalement,
l’investisseur achètera en périodes de « pessimisme maximum » des
actions qui ont eu une trajectoire récente plus positive que l’ensemble de la
Bourse.
2. Le temps de la Bourse et le temps du Business
La Bourse est un processus continu : chaque jour, les cours des
actions baissent ou montent. Pourtant, il va de soi que la valeur économique « réelle »
d’une entreprise ne peut pas fluctuer autant sur une périodicité aussi courte.
Il est dès lors de bon ton de fustiger le « court termisme » de la
Bourse, sur lequel serait calquée la stratégie de bon nombre d’entreprises
cotées. Il est vrai, notamment, que la publication de résultats trimestriels fait
figure de test de performance pour les managers : cela peut pousser
certains managers à, par exemple, faire des économies trop radicales de façon à
embellir leur bénéfice alors que l’heure serait plutôt à investir. Et, dans la
même veine, on peut juger malsain le petit jeu des analystes qui cherchent à
prévoir le bénéfice du trimestre suivant : il suffit souvent que la
réalité ne rencontre pas la prévision moyenne pour que le cours d’une action
s’effondre ou s’envole. Et c’est parfois contre-intuitif : ainsi, par
exemple, il y a quelques jours, le cours de l’action Ericsson a grimpé en une
séance de 19% (!) alors que le bénéfice trimestriel s’effondrait de
moitié : les analystes avaient juste prévu une situation pire. Ces
fluctuations exagérées existent bel et bien. Mais ne négligeons pas le fait
qu’un cours de Bourse inclut majoritairement des prévisions bénéficiaires
au-delà des 5 prochaines années. Ainsi, dans un secteur comme la pharmacie ou
la biotechnologie, où le développement d’un médicament prend plus de 10 ans, le
cours de Bourse d’un Sanofi ou d’un Merck prend bien entendu en compte les
perspectives du pipeline de médicaments en développement et pas seulement les
chiffres de ventes et bénéfices des médicaments existants.
Conclusion : les variations de cours
peuvent être très importantes à court terme et elles sont souvent exagérées.
L’investisseur ne les craindra pas mais les utilisera comme des opportunités
pour acheter ou vendre avec un oeil sur les perspectives de développement à
plus long terme.
3. Pourquoi se donner tant de mal ?
La théorie financière moderne, telle que développée depuis une
cinquantaine d’années, part du postulat que le marché boursier est efficient.
Globalement, cela signifie que, à tout moment, toute l’information disponible
sur une entreprise et ses perspectives est incorporée dans le cours de son action.
La seule chance alors pour un investisseur de « battre la Bourse »
est d’acheter des actions plus risquées. Ne le nions pas : il reste en
effet très difficile de battre la Bourse de façon récurrente sur longue période
(ç-à-d sur une période où l’élément de chance n’intervient pas) : la
performance de la majorité des fonds de placement est là pour en témoigner.
Néanmoins, l’effet « momentum » (voir point 1 ci-dessus) va déjà à
l’encontre de cette théorie. Plus encore, l’étude statistique boursière a démontré
que les actions de type « value » (ç-à-d celles qui sont
caractérisées par de faibles multiples de valorisation
« Cours/Bénéfice » ou « Cours/Valeur comptable des fonds
propres »), et plus particulièrement les plus petites capitalisations
parmi celles-ci, surperforment et cela, sans qu’elles soient plus risquées
(volatiles) que les autres ! Certes, au sein de cette population d’actions
« value », certaines resteront lettre morte, voire baisseront, tandis
que d’autres se redresseront sensiblement. Mais, même si le phénomène reste
pour une large part énigmatique, il y a fort à parier que, dans leur ensemble,
de telles actions (souvent « hors mode ») performeront à l’avenir
encore mieux que la Bourse.
Conclusion : l’investisseur en quête
d’actions à acheter se penchera plutôt sur les actions « value »
auxquelles il appliquera une analyse fondamentale détaillée pour éviter les
« value traps », à savoir les actions bon marché qui ont toutes les
chances de le rester encore longtemps (sans grand espoir de redressement donc).