Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Je ne sais pas si vous partagez ce sentiment mais je suis régulièrement effaré du traitement politico-médiatique de cette crise économique et financière.
En particulier, la Bourse, quel que soit l’angle sous lequel elle est considérée, fait l’objet des attaques les plus vives.
Prenons le fameux amendement Marini qui a tant fait couler d’encre en début de semaine. Ayant pour but de permettre aux petits actionnaires de déduire de leurs déclarations de revenus 2009 les moins-values boursières, il a d’emblée été taxé (si je puis dire et tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique) de « prime aux boursicoteurs ». Dans l’optique du politiquement correct, il s’agissait bien évidemment d’une « injustice sociale » destinée à favoriser les plus riches des Français, ceux capables d’épargner.
Une seconde ! L’Etat taxe bien les plus-values boursières qui sont des revenus par essence incertains, consécutifs à une prise de risques. Où serait le scandale de permettre, qui plus est exceptionnellement, aux actionnaires modestes de déduire leurs pertes à un moment où le « credit crunch » a pu les obliger à vendre au mauvais moment, faute de pouvoir lever facilement de l’argent autrement ? Quant à ce raisonnement, éminemment spécieux, consistant à identifier les épargnants à des personnes automatiquement aisées, voire très aisées, cela n’a guère de sens : arbitrer entre consommation et épargne ne serait le fait que des gens riches ? Celui qui investit en Bourse une somme qu’un autre aurait consacrée à l’achat d’une deuxième voiture serait un favorisé alors que cet autre serait un Français « ordinaire » ? Plus largement, investir en Bourse n’est pas du boursicotage de spéculateurs malveillants. Puis-je rappeler ici qu’un marché boursier, dans une optique de longue période, a d’abord pour vocation de canaliser l’épargne vers les projets les plus à même de créer de la richesse, rejaillissant sur tout le monde ? Et cela reste, encore à ce jour, le meilleur moyen pour ce faire. Encore une fois, ce n’est pas tant le débat sur cette déduction fiscale qui est en soi choquant, c’est le ton qui est utilisé pour le mener.
Bien avant cette attaque, les actionnaires avaient déjà été la cible de tous les reproches à longueur de pages de journaux ou de débats télévisés. Ainsi, pour bon nombre de politiciens, une « bonne » entreprise serait celle qui réinvestirait l’intégralité de son bénéfice plutôt que d’en verser une partie aux actionnaires sous la forme de dividendes. Ou encore, telle responsable syndicale avait trouvé le moyen imparable pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés : éliminer les dividendes et reverser la contrepartie aux travailleurs. Restons raisonnables ! Tout d’abord, le mythe de l’actionnaire qui s’en met plein les poches en dormant ne résiste pas à la réalité : un coup d’œil à l’évolution du CAC 40 sur les dix dernières années suffit à en faire la preuve. Il n’est donc pas outrancier de donner à l’actionnaire lambda un rendement de 2 ou 3% sous forme de dividendes. Ensuite, bien gérer une entreprise passe par l’équilibre entre la satisfaction de plusieurs impératifs : ainsi, le bénéfice, une fois les salariés correctement rétribués (évidemment !), doit à la fois permettre de récompenser les actionnaires (lesquels peuvent à tout moment être sollicités en cas d’augmentation de capital) et de penser à l’avenir sous la forme de réinvestissement. Mais tout réinvestir automatiquement est absurde : avec ce raisonnement, on aboutirait rapidement à des situations sectorielles caractérisées par des surcapacités de production, in fine très dangereuses. D’ailleurs, des études portant sur une longue période ont montré que ce sont les entreprises qui redistribuent le plus à leurs actionnaires qui connaissent in fine la meilleure croissance bénéficiaire. A moins qu’en France on ne préfère les entreprises en pertes ou subsidiées, c’est tout de même un argument à prendre en considération ! Quant aux boulets rouges tirés sur les « licenciements boursiers », qui peut me donner sérieusement le nom d’une entreprise qui a été amenée récemment à licencier et dont le cours de bourse s’est envolé suite à cette mesure ? Les entreprises souffrent et par conséquent, salariés et actionnaires souffrent également : voilà ce qui est plus conforme à la réalité !
Ajoutons que cette chasse aux sorcières à l’encontre des actionnaires n’est guère tempérée par des journalistes souvent peu au fait de la chose économique. Ainsi, récemment, sur une radio très écoutée, un pourtant éminent meneur de débat a lancé au patron de Total : « Certes, mais le bénéfice net se calcule après investissements, non ? ». « Eh bien non, ce n’est pas le cas », lui répondit placidement Christophe de Margerie. Quant à cette non moins éminente journaliste de France Télévision, interrogeant il y a quelques semaines Olivier Besancenot, elle a laissé sans contradiction ce dernier dire que Warren Buffett spéculait « honteusement » à la baisse sur les actions américaines au moment même où celui-ci avait pris publiquement position dans le sens contraire. Et je ne parle pas du « scandale » des ventes à découvert, technique dont l’intérêt pour l’efficience des marchés est passé au-dessus de la tête de tout le petit monde médiatique …
Bref, tout cela a des relents assez désagréables d’amateurisme et de populisme qui, loin d’apporter des éclaircissements sur les importants enjeux d’aujourd’hui, plongent le pays dans une ignorance portant en elle les germes de toutes les désillusions à venir.