Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Difficile, ces derniers jours, d’ouvrir un journal économique et financier sans tomber sur une évocation de la crise financière (pardon : la Grande Crise financière) de 2008. La tentation est grande, à la lumière de ce qui s’est passé par la suite, de réécrire l’histoire. Fallait-il ou non sauver Lehman Brothers ? Les règles prudentielles du secteur bancaire n’auraient-elles pas dû être plus contraignantes ? La volonté étatique aux USA de faire accéder le plus grand nombre (traduction : tout qui le voulait) à la propriété immobilière, en laissant la bride sur le cou des prêteurs, n’était-elle pas insensée ? L’argent peu cher et à volonté peut-il réellement éviter les accidents macro-économiques ou bien les précipite-t-il ?
Toutes ces questions sont à nouveau sur la table. Et le malaise est palpable. Il y a aujourd’hui plus de dettes (publiques et privées) qu’à l’époque. Et les allumettes ne manquent pas qui mettraient à nouveau le feu aux poudres.
L’investisseur est lui aussi dans une position délicate. Malgré les sources d’instabilité et les prix des actifs souvent élevés, on peut lui reprocher sa tendance à laisser “dormir” trop de liquidités sur des comptes bancaires plutôt que de les investir (par exemple en actions ou en obligations). Au mieux, il est davantage tenté par l’acquisition d’un second bien immobilier. Selon les dernières statistiques, seuls un peu moins de 9% des Français investissent actuellement, directement ou indirectement (via des fonds), en actions. Un chiffre en lente progression mais encore faible.
Normal, me direz-vous. Le souvenir de la crise de 2008 et celui de la crise précédente (celle de l’éclatement de la bulle technologique au tournant du millénaire) laissent précisément de douloureux stigmates. C’est tout sauf certain. Structurellement, l’intérêt des Français pour les placements à risque est faible, déjà bien avant ces crises. Et puisque finalement peu d’épargnants ont subi de graves désagréments des crises précédentes, de tels épisodes ne devraient pas s’avérer aussi marquants.
Les partisans d’une approche psychologique de la finance, comme les Prix Nobel Daniel Kahneman (en 2002) ou encore Richard Thaler (en 2017) ont une explication : l’épargnant, et encore davantage lorsqu’il avance en âge (et en France, l’argent est surtout présent et disponible, lorsque c’est le cas, à partir de la cinquantaine avancée), n’aime pas le risque. Il regretterait ainsi davantage une perte qu’il n’apprécierait un gain d’un montant équivalent.
Des recherches récentes remettent néanmoins cette “vérité” en question. Certes, et c’est bien normal (et même conseillé), tout épargnant se doit d’être prudent. Par exemple, il gardera un volant de liquidités pour faire face aux aléas de la vie (chômage, divorce, accident, …). Mieux vaut, en effet, ne pas tenter de gagner en Bourse de quoi se payer vos prochaines vacances si cela doit vous empêcher de payer votre loyer en cas d’insuccès. Mais lorsqu’il s’agit d’enjeux plus “raisonnables”, l’épargnant ne serait en fait pas effrayé par le risque (financier) : il ne verrait tout simplement pas la nécessité d’agir, considérant qu’il y a potentiellement autant à perdre qu’à gagner et préférant dès lors le statu quo.
N’y aurait-il là que de la simple indifférence ? Sans doute que non. On connaît en France la méfiance culturelle de nombre de citoyens envers l’argent et la “spéculation”. Celle-ci serait néanmoins en train de reculer, du moins parmi la classe moyenne favorisée.
Reconnaissons-le. Dans bien des cas, les Français négligent leur argent en raison d’un manque de connaissances. Si vous étiez, par exemple, plus nombreux à être convaincus que votre épargne perd en pouvoir d’achat lorsque l’inflation dépasse, comme aujourd’hui, les intérêts fournis par votre banque, vous réfléchiriez à deux fois. Sur longue période, il y a plus à gagner qu’à perdre à accepter certains risques calculés. Par ailleurs, affronter votre banquier reste trop souvent également un exercice intimidant : même informés, vous êtes ainsi assez peu nombreux à changer de banque lorsque de meilleurs services sont disponibles ailleurs. Vous êtes encore plus rares, sans doute, à “challenger” votre banquier en contestant les frais en tous genres qu’il vous ponctionne.
En matière d’argent, un nombre non négligeable de Français refusent explicitement tout risque. C’est indéniable et cela est finalement peu lié aux épisodes précédents de crise financière. Pour tous les autres, la prise de conscience de leurs droits et une meilleure information devraient leur permettre de faire de meilleurs choix. Une (r)évolution culturelle qui prendra sans doute encore un peu de temps.