Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Lorsqu’une
entreprise décide une augmentation de son capital, certains analystes
financiers s’inquiètent du prix d’émission des nouvelles actions et, en
particulier, de la décote programmée par rapport au cours de l’action avant
l’annonce de l’opération. A tort ! Ils y voient indûment un signe de
« dilution » économique à l’égard des actionnaires existants :
plus le cours des nouvelles actions émises est bas, plus de nouvelles actions
seront émises (pour un montant donné de capital à lever) et plus le bénéfice
par action sera réduit ou dilué. Ce qui signifierait que les anciens
actionnaires ne participant pas à l’augmentation de capital seraient
désavantagés. Ce raisonnement n’a pas de sens dans le cas (le plus fréquent
pour les actions de grandes entreprises) où ces anciens actionnaires détiennent
des droits de souscription dont la raison d’être est justement d’empêcher une
telle dilution économique. Le choix qui leur revient est soit d’exercer leurs
droits et donc de pouvoir participer à l’opération aux conditions fixées ;
soit de vendre ces droits aux nouveaux actionnaires désireux de souscrire, ce
qui leur permet de compenser auprès de ces nouveaux actionnaires la perte liée
au prix d’émission décoté.
Prenons un
exemple chiffré pour illustrer notre propos.
Soit une entreprise qui a une capitalisation de 15 milliards EUR
pour 1 milliard d'actions Cours de l'action : 15 EUR
Bénéfice annuel : 1 milliard EUR
Bénéfice Par Action (BPA) : 1 EUR
Cours/BPA : 15
Cette entreprise veut doubler son capital : donc passer de 15 à 30
milliards EUR
Situation 1 :
—————
Prix d'émission décidé pour les nouvelles actions : 10 EUR
Donc : 1,5 milliard de nouvelles actions
1 action ancienne donne droit à 1,5 action nouvelle
Valeur théorique de l’action hors droit : 12 EUR, à savoir 30/2,5
Droit de souscription : 3 EUR, à savoir : (12 EUR – 10 EUR)* (1,5/1)
Supposons que les 15 nouveaux milliards EUR peuvent être utilisés
dans les mêmes conditions de rentabilité que précédemment (avec effet
immédiat).
Donc : Bénéfice annuel = 2 milliards EUR (1+1)
BPA : 2/(1+1,5) = 0,8 EUR
Si Cours/BPA = toujours 15
Alors, en effet, prix = 12 EUR
Situation 2 :
—————
Prix d'émission décidé pour les nouvelles actions : 7,5 EUR
Donc : 2 milliards de nouvelles actions
1 action ancienne donne droit à 2 actions nouvelles
Valeur théorique de l’action hors droit : 10 EUR, à savoir 30/3
Droit de souscription : 5 EUR, à savoir : (10 EUR – 7,5 EUR) * (2/1)
Bénéfice annuel = 2 milliards EUR
BPA : 2/(1+2) = 0,66 EUR
Cours/BPA = 15
Alors, en effet, prix = 10 EUR
DONC :
Quel que soit le prix d'émission décidé, l'actionnaire existant qui
vend ses droits n'est pas lésé : dans le premier cas, il a 12 EUR + 3 EUR et
dans le second cas, il a 10 EUR + 5 EUR.
Si baisse de cours il y a lors de l'annonce d'une future
augmentation de capital (et avant séparation des droits), c'est uniquement dû à
une considération économique : pourquoi le management augmente-t-il son capital
? Que va-t-il faire de cet argent ?
Et si une autre baisse de cours survient au moment où le management
annonce le prix d'émission des nouvelles actions (toujours avant séparation des
droits), c'est une réaction psychologique des investisseurs quant à l'écart
entre le cours de l'action et le prix d'émission : si cet écart est trop grand,
cela peut induire un malaise : le management redoute-t-il que le cours de
l'action baisse fortement à court terme au point de mettre en danger
l'augmentation de capital (personne n'ayant intérêt à souscrire si le cours de
l'action tombe sous le prix de souscription). Il n'y a aucune raison de penser
que le nombre d'actions à émettre (en lien direct avec le prix décidé, compte
tenu du montant total à lever) constitue un problème pour l'actionnaire
existant : la compensation (qui est tout sauf théorique) est assurée par le
droit de souscription.
Enfin, petit raisonnement par l'absurde : le management, qui est
tout de même censé gérer l'entreprise en faveur des actionnaires, va-t-il
s'amuser à déterminer un prix de souscription volontairement en défaveur de ces
actionnaires, si cela avait un impact et s'il pouvait faire autrement ? Le fait
même qu'il y a une grande liberté dans ce choix montre bien qu'il n'y a pas là
matière à défavoriser les anciens actionnaires.