« Petite chronique boursière  » : Du rôle de la chance et de la malchance en Bourse

Vincent_colot Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Après tout, c’est bien humain : pour l’investisseur boursier, un bon coup s’assimile généralement à de la compétence (« j’avais raison ») tandis que la malchance vient souvent expliquer une contre-performance.

Pourtant, celui qui veut progresser doit, autant que faire se peut, porter un regard lucide sur les raisons de ses succès ou de ses échecs. Ce n’est pas facile car il est toujours tentant de réécrire l’histoire à sa façon.

Je vais vous prendre deux exemples, tirés de mon expérience récente : les actions Eastman Kodak (échec) et Club Méditerranée (succès).

Dans l’une de mes chroniques récentes, en octobre dernier, je vous faisais part d’un raisonnement selon lequel l’action Eastman Kodak, aux alentours de 1,2 USD, pouvait séduire l’amateur de risque. Cette chronique est ici : https://www.enviedentreprendre.com/2011/10/petite-chronique-boursi%C3%A8re-o%C3%B9-est-le-pigeon-cest-peut-%C3%AAtre-moi.html. Le géant américain de la photographie était dans une mauvaise passe, n’ayant pu réussir sa conversion à la technologie numérique : avec une trésorerie en baisse lui faisant craindre la faillite, il plaçait alors une bonne part de ses espoirs dans la revente d’une partie de ses brevets. Eh bien, force est de constater que la situation ne s’est guère améliorée depuis lors : le groupe s’est vu contraint de requérir la protection de la loi sur les faillites pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être avant un hypothétique rebond. En conséquence, le cours de l’action est tombé aux alentours de 0,4 USD alors que les fameux brevets n’ont toujours pas trouvé preneur. Il va de soi que cette action est devenue encore plus spéculative aujourd’hui qu’en octobre, époque à laquelle je me demandais si je n’étais pas le « pigeon » de service en y investissant quelques deniers. Etait-ce une erreur ou ai-je joué de malchance ? Après mûre réflexion, je pense que c’était une erreur. D’un point de vue strictement personnel, d’abord, mon expérience aurait dû me conduire à me méfier davantage : en effet, je n’ai guère récolté de plantureux succès sur les actions spéculatives. Ce n’est vraiment pas ma spécialité et, à ce titre, j’aurais sans doute dû rester à l’écart même si la valorisation me semblait (très) séduisante. Ensuite, une issue heureuse à la situation dépendait excessivement d’événements extérieurs à l’entreprise, quels que fussent ses efforts : une radicale amélioration conjoncturelle et, surtout, la survenance d’une offre financièrement favorable pour les brevets étaient trop aléatoires. Bref, sur ce dossier, grisé par la perspective d’un bon coup rapide, j’ai surestimé ma capacité d’analyse. Etant donné le faible montant encore en jeu, je ne vais évidemment pas vendre aujourd’hui cette action. Mais soyons clairs, si EK parvient à s’en sortir et que, dans quelques mois/années, le cours s’affiche à un niveau largement supérieur à mon prix d’achat, je considérerais alors que j’ai eu … de la chance plus que du mérite !

Venons-en au second exemple : l’action Club Méditerranée, acquise à la même époque, au cours de 12,4 EUR  et qui vaut aujourd’hui (mardi 21 février) 16,1 EUR. Un collègue (évidemment jaloux vu que c’est un collègue …) à qui je confiais cette bonne fortune me rétorqua : « Tu as eu de la chance : le CAC 40 s’est redressé et tu as bénéficié de plus de l’affaire du naufrage du Concordia, ce qui a porté un coup au concurrent américain Carnival ». Tout en m’astreignant à la même « honnêteté » que sur le dossier précédent, je ne crois pas que le concept de « chance » s’applique ici aussi facilement. L’analyse fondamentale des comptes du Club Méditerranée m’avait indiqué une situation d’amélioration progressive de la situation bénéficiaire du groupe, malgré une conjoncture difficile : les efforts menés de longue date en vue de redéfinir une stratégie plus rentable (réorientée vers des investissements plus sélectifs dans le haut de gamme) donnaient enfin leurs premiers fruits. Et la Bourse ne semblait pas tenir compte de la valeur marchande intrinsèque des terrains (souvent favorablement localisés) du Club Med, non comptabilisée. Il y avait donc sans doute là une affaire intéressante : une action sous-valorisée d’une entreprise dont la restructuration en cours était négligée par la Bourse. Bien entendu, un climat boursier porteur a apporté sa pierre à l’édifice. Mais alors que le CAC 40 progressait de quelque 15%, l’action Club Med gagnait le double. Et si le Concordia a été en effet un autre élément « positif » (un terme bien évidemment horrible étant donné les morts occasionnés par cet accident), il ne peut pas expliquer à lui seul cette différence. Et quand bien même … La décision d’acheter l’action Club Med a été prise en raison de son caractère bon marché, à partir d’un diagnostic sur ses fondamentaux. A partir de là, je considère que cette entreprise va être exposée à des événements négatifs et positifs, dont le timing est inconnu et dont la probabilité est équitablement répartie. Il se fait que la conjoncture m’a été favorable et a permis à l’action de se revaloriser, sans doute plus rapidement que prévu, à un niveau que j’estime plus conforme à sa vraie valeur. Dans le même contexte, l’effet boursier n’aurait sans doute pas été aussi net si l’action avait été initialement plus chère.

Remarquons que, dans les deux cas analysés ici, la période d’investissement est bien courte (quelques mois à peine) pour tirer des conclusions définitives. D’ailleurs, c’est une des caractéristiques de la Bourse de ne jamais dévoiler des vérités gravées dans le marbre … Chacun est confronté à son bilan qu’il se doit d’établir avec un maximum d’impartialité.

En résumé : une erreur sur Eastman Kodak et une satisfaction, sans doute plutôt méritée, sur le Club Med. Cela aurait pu être pire …

P.S. : Cette semaine, le principal se trouve en note en bas de page puisque j’ai appris la disparition, à 95 ans, d’un des plus grands investisseurs du XXe siècle, à savoir l’Américain Walter Schloss (ami de Warren Buffett) dont les investissements avaient rapporté en moyenne annuelle quelque 15% (après frais) entre 1956 et 2002. Je lui avais consacré une chronique que vous pouvez retrouver ici : https://www.enviedentreprendre.com/2007/11/petite-chroniqu.html.

So long, the Artist !            

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