Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
De prime abord, le monde de la Bourse est celui du court-termisme ou, si vous préférez, de la vitesse. Sont glorifiés le directeur financier qui créera le plus rapidement de la valeur pour les actionnaires (en recourant à d’obscures techniques d’ingéniérie financière qui sont le plus souvent … du vent), le gestionnaire de fonds qui affichera (généralement par chance – mais qui s’en soucie ?) la meilleure performance de sa catégorie sur un an, un semestre, un trimestre, et, pourquoi pas, une journée. Et que dire des logiciels robots, traquant les « anomalies » boursières sur quelques secondes, parfois moins, et responsables sur les marchés de volumes de transaction de plus en plus importants ! Les investisseurs individuels, eux aussi, ont été entraînés progressivement dans la danse : Internet et les sites de courtage en ligne en a convertis une bonne part au day-trading, faisant des allers et retours au sein d’une même journée de cotation. C’est alors la glorification, par la publicité, du boursicoteur hyperactif qui apparaît, pauvre de lui, tout heureux d’abandonner de juteuses commissions à ses victorieux tentateurs.
Eh bien, affirmons-le tout net : en Bourse, la vertu principale est en fait celle de la lenteur.
Démonstration en trois étapes, dans le chef de l’investisseur :
1 – Depuis une quinzaine d’année que j’investis en actions individuelles, force est de constater que mes performances sont loin d’être exceptionnelles. Grosso modo (je ne suis pas un fanatique du quinzième chiffre après la virgule), sur cette période, caractérisée par des hauts et des bas, mon rendement moyen s’aligne sur celui de la Bourse. Ce qui n’est pas extraordinaire, en relatif comme en absolu. Mais … Je dois à la vérité de dire que mes plus grosses erreurs ont été commises dans les 5 premières années de pratique. Chance ou malchance, cette période fut celle de la bulle technologique (informatique, télécoms, biotechnologie, Internet) de la fin du XXe siècle, où j’ai d’abord gagné gros avant de perdre, grisé d’insouciance et de facilité que j’étais, souvent encore plus gros … De quoi forger le caractère et tirer de profitables leçons ! Donc, même si vous avez un bon bagage théorique, ne vous lancez pas de suite dans l’aventure boursière en misant vos propres deniers : il y a fort à parier que vos premiers pas seront douloureux. Contraignez-vous pendant une période assez longue (oui, souvent plusieurs années) à gérer un portefeuille virtuel afin de vous acclimater à l’univers boursier et de vérifier si vous avez l’estomac pour traverser des périodes de forte instabilité.
2 – Une fois que vous avez déterminé le style de stratégie d’investissement avec laquelle vous vous sentez le plus en adéquation (intellectuellement et émotionnellement), passez à un portefeuille réel et gardez le cap. Il se peut très bien que pendant un assez long moment, cette stratégie ne paie pas. Mais si vous êtes convaincu de son bien-fondé, n’en changez pas : la Bourse peut s’entêter dans une voie qui ne vous correspond pas (ou qui est totalement irrationnelle, comme dans le cas de bulles) mais finit toujours, tôt ou tard, par retrouver un comportement plus logique. La validité d’une stratégie ne se juge pas sur quelques mois mais bien sur longue période (une décennie ou plus).
3 – Internet, c’est formidable : les informations et les cours, jadis réservés aux seuls professionnels, et aujourd’hui accessibles par tous en temps réel. Apprenez, lisez, confrontez vos analyses à celles d’autres internautes. Mais résistez à l’ivresse de l’immédiateté, par définition illusoire. L’actuelle forte volatilité des Bourses offre des opportunités, c’est entendu mais ne jouez pas au trader fou : une majeure partie des fluctuations actuelles sont totalement irrationnelles et ne peuvent s’anticiper. Ne vous laissez par ailleurs pas influencer, dans vos décisions d’investissement, par les bruits (« noises ») de toutes sortes qui alimentent ces sautes d’humeur. Filtrez les informations en usant de votre esprit critique et ne retenez que celles utiles pour votre stratégie. Suivez plusieurs valeurs en même temps (pas trop : idéalement entre 5 et 10), apprivoisez-les, attendez patiemment que l’une d’entre elles présente le profil idéal pour un achat. Si vous ratez une occasion, ne transigez pas sur vos principes : n’achetez pas dans de mauvaises conditions une action que vous avez manquée. D’autres opportunités se présenteront.
Alors, oui, en effet, pour qu’elle soit une expérience rentable, la Bourse est, paradoxalement, une école de la gestion du temps long. Celui qui, souvent par excès d’arrogance, se précipitera pourra s’en mordre les doigts.