Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
D’ores et déjà pardon aux spécialistes de la stratégie d’entreprise.
Je suis loin d’être un expert en la matière. D’ailleurs, j’ai déjà indiqué à
cette tribune que je n’accordais que peu de place à cette discipline avant
d’acheter (ou de vendre) une action.
Cela n’empêche pas de prendre le pouls de la société.
Un constat : le produit (service) moyen commercialisé à un prix
moyen pour le consommateur moyen n’a plus la cote, du moins en Occident. Il est
peut-être même condamné à disparaître.
Les entreprises qui ont fait leur succès
sur le développement de la consommation de masse à destination d’une classe
moyenne toujours plus populeuse ont du souci à se faire, à moins de changer
leur fusil d’épaule. Rester dans le moyen de gamme peut s’avérer mortel. Car,
rappelons-le, toute entreprise, de la plus petite à la plus grande, qu’elle
soit cotée en Bourse ou non, est mortelle.
Pourquoi cette désaffection des
consommateurs pour les produits « good enough » ? D’abord, dans
nos sociétés de crise d’abord post-industrielle et aujourd’hui post-financière,
la classe moyenne se fragilise : les riches deviennent plus riches et les
pauvres deviennent plus pauvres. Ce n’est pas le sujet ici de porter un
jugement sur cette évolution sociale. C’est juste la réalité. Ensuite, au sein
de ce qui reste de la classe moyenne traditionnelle, on constate des
modifications parfois radicales de modes de consommation : davantage
sollicités par des besoins nouveaux (pensez aux produits high tech, y compris
la mobilophonie), les consommateurs doivent consentir à davantage d’arbitrages
face à un pouvoir d’achat qui, au mieux, stagne. Un ménage de la classe moyenne
pourra alors transiger quelque peu sur la consommation courante (habillement,
alimentation, etc) pour pouvoir s’offrir le dernier gadget d’Apple (OK, l’iPad
n’est pas encore en vente en France !).
Résultat ? Le produit de qualité
moyenne à destination d’un marché de masse laisse progressivement à la place à
deux catégories : les produits « low cost » (bon marché) et les
produits « premium » (chers).
Ne vous y trompez pas. Pour une entreprise,
« faire » du low cost ou du premium n’est pas
une sinécure ! Car dans les deux cas,
les clients en veulent pour leur argent et la concurrence se durcit d’autant
plus que les entreprises des pays émergents, à la fois sur le low cost et sur
le premium, deviennent chaque jour plus compétitives sur le marché mondial.
Pour réussir dans le low cost, l’entreprise
a intérêt à identifier les besoins fondamentaux de ses clients, à simplifier le
« business model » (notamment en recourant à tout ce qu’internet
permet en matière de fluidité des processus de production et de distribution) et
à atteindre une taille suffisante pour dégager des économies d’échelle.
Pour réussir dans le premium, l’entreprise
doit jouer sur le caractère supposé unique du produit, servi en cela par une
marque reconnue pour son excellence et apte à transcender les effets de mode.
Les consommateurs riches (ou qui veulent apparaître comme tels) se
reconnaissent entre eux, comme au sein d’une tribu, par leurs modes de
consommation bien ciblés. L’expérience de consommation, axée sur la plus-value
apportée par le produit, est ici fondamentale de façon à susciter la
fidélisation de la clientèle.
Que doit en déduire l’investisseur ?
Une bonne partie des entreprises (et singulièrement des grandes entreprises)
sont encore gérées autour d’une offre de produits/services « good
enough ». L’investisseur ne s’intéressera aux actions de ces entreprises
que si elles sont résolument bon marché. Et il se méfiera en cas contraire.
Ainsi, il semble aujourd’hui peu raisonnable de se précipiter sur des actions
comme Unilever, Peugeot ou encore Philips. A l’inverse, les entreprises qui se
développent à partir d’une stratégie low cost ou premium sont, a priori,
davantage intéressantes dans une optique de long terme. Le problème, vous
l’aurez peut-être déjà deviné, est que les actions de ces entreprises sont
souvent chères. Dès lors, il faut souvent attendre des accès de faiblesse
boursière, comme lors de l’hiver 2008/09, pour se positionner
avantageusement : pensez qu’à cette époque des actions comme BMW ou LVMH
(deux entreprises misant évidemment sur le premium) cotaient à la moitié de
leurs cours actuels … Certes, il fallait alors être courageux pour se lancer
dans la danse !
Que faire alors ? Les opportunités
sont rares sur le front des actions de grandes entreprises. Raison de plus pour
vous intéresser aux petites actions bon marché … surtout si les entreprises
qu’elles représentent optent pour le low cost ou le premium.