Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Les récentes publications des résultats des entreprises ont été l’occasion, comme à chaque fois et surtout aux Etats-Unis, de séances téléphoniques (dites « conference calls ») de questions/réponses entre analystes financiers et responsables de ces entreprise (directeurs financiers et/ou généraux). Ces séances sont le plus souvent archivées en version audio dans la section « Relations avec les investisseurs » des sites des entreprises. Elles peuvent également se retrouver, là ou ailleurs, sous une forme retranscrite. A priori, ce devrait être une source d’informations précieuses pour les investisseurs, notamment les plus modestes qui n’ont pas toujours accès aux rapports plus professionnels. Mais c’est au contraire une pratique révélatrice de sérieux dysfonctionnements.
Deux chercheurs ont ainsi récemment recensé 16.000 de ces échanges sur 10 ans (de 2003 à 2013) concernant 500 entreprises américaines. Qu’ont-ils constaté ? Dans la majorité de ces sessions, les analystes recourent à la flatterie en félicitant leurs interlocuteurs pour leur performance qualifiée, selon les cas, de « bonne » à « phénoménale » en passant par « solide » ou « formidable ». Une telle attitude pourrait relever de l’élémentaire politesse, notamment au regard du fait d’avoir été choisi pour pouvoir poser une ou deux questions. On pourrait également souligner que, étant donné que cet exercice survient peu de temps après la publication des chiffres, les analystes n’ont encore guère eu le temps de les analyser en profondeur. Souvent, ils se contentent alors de comparer les chiffres publiés avec les chiffres qu’ils avaient eux-mêmes anticipés. Et les entreprises s’entendent généralement à merveille pour publier des chiffres un peu meilleurs que les attentes.
Mais ce serait absoudre à bon compte les analystes des grandes institutions financières dont les comportements sont en fait loin d’être innocents. En agitant ainsi publiquement la brosse à reluire, ils cherchent en fait à se ménager un accès direct et permanent avec les équipes dirigeantes, ce qui constitue une plus-value pour leurs gros clients investisseurs. Ces derniers sont prêts à payer cher pour cela. Avec des répercussions concrètes sur les bonus payés aux analystes. On peut donc douter de leur sincérité lorsqu’ils égrènent leurs compliments. Imaginez-vous d’ailleurs qu’un analyste ouvertement critique aurait facilement son mot à dire lors de ces séances ? Jusqu’ici le gendarme boursier (la SEC aux Etats-Unis) ne trouve rien à redire à ce type de commentaire laudatif, tant que les analystes adoptent un ton plus conforme à leurs convictions dans leurs rapports de recherche. Non pas que ces derniers soient d’ailleurs exempts de tout reproche. Ils restent également trop fréquemment complaisants, ne se soldant que dans 5 ou 6% des cas par des conseils de vente. Les petits investisseurs, toujours à la recherche de la bonne information, sont grugés sans le savoir par ces situations de conflits d’intérêts manifestes. Certes, les plus au fait du problème savent qu’un conseil « conserver » est généralement un travestissement pour un conseil « vendre ». Mais les règles du jeu et la transparence du système gagneraient à renoncer à cette hypocrisie.
Que doit faire un analyste financier « honnête » ?. D’abord et avant tout, analyser les chiffres des entreprises pour ce qu’ils sont avec une dose de scepticisme de bon aloi. Pour cela, dans la grande majorité des cas, il n’est pas nécessaire de quémander des données complémentaires aux équipes dirigeantes des entreprises. Fondamentalement, cette proximité (qu’en cette période électorale on peut rapprocher de celle entre journalistes et hommes/femmes politiques) ne me semble pas saine. Le seul intérêt de l’analyste doit être de donner de façon impartiale, en intégrant les dernières informations et les valorisations, une opinion la plus étayée possible quant au potentiel de rendement de telle ou telle action. Ce qui se traduit au final par des conseils mieux équilibrés entre acheter (aux alentours de 20% des cas, dans des conditions de marché normales), conserver (aux alentours de 60% des cas) et vendre (aux alentours de 20% des cas).