Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
On connaît la ritournelle des esprits chagrins. Les actionnaires se goinfreraient depuis des années sur le dos des salariés en empochant des dividendes excessifs. Un coup d’œil sur n’importe quel indice d’une grande bourse depuis une douzaine d’années suffirait à pour le moins relativiser une telle fadaise. Cela fait des années que les Bourses jouent au yoyo et que les actionnaires soufflent successivement le chaud et le froid. Même en y ajoutant les dividendes, l’investisseur qui sera resté sur le marché durant toutes ces années (sans chercher donc à profiter de la volatilité des cours) n’aura en réalité quasiment rien gagné. Il n’aura en tous cas pas été rémunéré pour le risque.
Y a-t-il une leçon à en tirer concernant le traitement des actionnaires par les entreprises ?
Dernièrement, le bureau de conseils financiers auquel j’appartiens a réalisé une évaluation de la qualité de gouvernance des grandes entreprises (en anglais : “corporate governance”). Rappelons que la gouvernance des entreprises est un concept qui recouvre la façon dont l’équilibre du pouvoir est assuré dans les entreprises, dont les décisions sont prises et dont l’information est répercutée aux actionnaires. Avec un score moyen aux alentours de 10,3/20 en 2010, notre échantillon représentatif de quelque 350 entreprises européennes et américaines laisse voir des lacunes notamment dans la façon dont sont traités les actionnaires.
Et sur ces dernières années, aucun réel progrès n’a été constaté.
Or, le lien le plus tangible entre actionnaires et entreprises est celui du dividende. Sans surprise, la situation n’est en fait pas satisfaisante. Alors qu’en moyenne, au niveau mondial, le taux de distribution des dividendes (“dividend pay-out”) s’établit actuellement aux alentours de 35% des bénéfices, ce niveau ne me semble pas suffisant. On le sait : trop d’argent gardé à l’intérieur d’une entreprise au mieux ne rapporte pas grand chose et au pire, peut se retrouver finalement dilapidé (primes exagérées aux dirigeants, investissements improductifs). On le sait aussi : les entreprises répugnent à distribuer un dividende dont elles savent qu’il pourrait ne pas être au moins maintenu les années suivantes. Ce genre de raisonnement freine inutilement la redistribution des bénéfices aux actionnaires. Ceux-ci seraient pourtant tout aussi satisfaits si les entreprises s’engageaient sur un certain niveau de pay-out, même si cela s’accompagnait d’une variabilité des dividendes distribués. Supposons qu’une entreprise s’engage à distribuer 40% de ses bénéfices : alors à un bénéfice par action de 10 EUR réalisé en 2010 correspondrait un dividende de 4 EUR et si, en 2011, le bpa n’est plus que de 5 EUR, le dividende tomberait alors à 2 EUR. En tout état de cause, nous pensons que ce genre de politique permettrait de relever le taux moyen de redistribution des bénéfices, en baisse depuis 20 ans, aux alentours de 50%. Notons d’ailleurs que des entreprises comme Siemens, EON, GDF Suez ou encore Philips ont déjà pris des engagements en ce sens.
Mais c’est du donnant donnant.
Les investisseurs aussi doivent s’amender. Il n’est pas rare que les cours des action soient exagérément poussés à la hausse ou à la baisse selon la hauteur des bénéfices trimestriels. Trop souvent considérés comme une fin en soi par des actionnaires impatients, les performances bénéficiaires à cour terme doivent davantage être contextualisées à la situation économique et être analysées en fonction de ce qu’elles indiquent quant aux capacités des entreprises à atteindre leurs objectifs à long terme. Un comportement plus adulte et responsable des investisseurs allant dans ce sens permettrait aux entreprises de développer plus sereinement leurs projets.