« Petite chronique boursière » : Joseph Piotroski, l’académique qui bat la Bourse

Vincent_colot
Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

A tout qui s’intéresse peu ou prou à la Bourse, je conseille
vivement de consulter régulièrement le très intéressant bulletin mensuel de l’American Association of Individual
Investors
(sur www.aaii.com/journal
). On y trouve en effet exposées en des termes clairs et accessibles de
nombreuses études financières qui sont à mi-chemin entre théorie et pratique.
Et tout cela est consultable gratuitement, y compris les archives.

Notamment, une fois par an (en janvier), ce journal compare les
performances des principales stratégies d’investissement – appliquées ici à la
Bourse américaine – non seulement sur l’année écoulée mais en prenant également
le recul de plusieurs années.

Sans surprise, 2008 fut un cru boursier exceptionnel avec des pertes
marquées sur les différents indices. Sur la cinquantaine de stratégies
présentées, seule une (oui, vous lisez bien : seule une) enregistre une
performance positive sur les 11 premiers mois de l’année 2008 – en fait
jusqu’au 5 décembre, date à laquelle sont compilées les données pour écrire
l’article – et cette performance n’est pas du pipeau : pas moins de
32,6% ! (oui, vous lisez toujours bien : 32,6% !). Et en 11 ans,
la performance totale est de 1069,3% (contre une perte de 9,7% pour l’indice
général S&P 500).

Il s’agit de la stratégie dite « Piotroski ».

Piotroski ?

Joseph Piotroski est Professeur de Comptabilité
à l’Université de Chicago. Quoique d’une grande sobriété et modestie, notamment
en comparaison des gourous boursiers proclamés ou auto-proclamés, Joseph a
acquis une petite notoriété en publiant en 2000 une remarquable étude intitulée :
« Value Investing : The Use of Historical Financial Statement
Information to Separate Winners from Losers ». De quoi s’agit-il ? Le
« value investing », j’en ai déjà parlé, consiste à acheter des
titres lorsqu’ils sont faiblement valorisés, notamment sur la base de multiples
comme le rapport Cours de bourse/Bénéfice par action ou  le rapport Cours de bourse/Valeur comptable
des fonds propres par action. Si cette stratégie fonctionne assez bien dans le
cadre d’un portefeuille diversifié, il n’en demeure pas moins qu’elle combine
sans discrimination bon grain et ivraie. S’attaquant à ce problème, l’ami
Joseph a travaillé sur la façon de séparer, parmi les titres faiblement
valorisés, ceux qui sont prometteurs de ceux qui ne le sont pas. Pour ce faire,
il ne s’est pas prêté à un jeu de fléchettes mais a étudié les caractéristiques
fondamentales des titres à travers la santé financière des entreprises qu’ils
représentent. Et en appliquant sa stratégie sur 20 ans, de 1976 à 1996, il a pu
réaliser un rendement annuel moyen de 23% !

Sur quoi base-t-il sa
sélection de titres ?

D’abord, il identifie, sur le marché considéré, les 20% d’actions
dont le ratio Cours de bourse/Valeur comptable des fonds propres par action est
le plus bas.

Sur la base de cette « population », il établit ensuite,
pour chaque action, un scoring financier autour de 9 critères, en donnant pour
chacun d’entre eux une cote de 1 ou de 0, selon que le signal donné est positif
ou non.

Passons en revue ces 9 critères :   

1.     
Rentabilité : si le bénéfice net
de l’année précédente est positif, 1 ; sinon, 0.

2.     
Rentabilité : si le cash flow
opérationnel de l’année précédente est positif, 1 ; sinon, 0.

3.     
Rentabilité : si le ROA (Return
on Assets, donc rentabilité sur le total bilantaire) de l’année précédente est
supérieur à celui de l’année antérieure, 1 ; sinon, 0.

4.     
Qualité des bénéfices : si le
cash flow opérationnel est supérieur au bénéfice net, alors 1 ; sinon 0.

5.     
Endettement à long terme : si, en
pourcentage du total bilantaire, la dette à long terme diminue, 1 ; sinon,
0.

6.     
Liquidité : si le ratio des
liquidités sur les dettes à court terme a augmenté, alors 1 ; sinon, 0.

7.     
Fonds propres : si le nombre
d’actions a augmenté (signe de dilution), alors 0 ; sinon 1.

8.     
Marge brute (ratio des ventes
diminuées des coûts des biens vendus/ventes) : si la marge brute a
augmenté (signe de pouvoir compétitif), alors 1 ; sinon 0.

9. Productivité : si les ventes ont augmenté
plus rapidement que le total bilantaire (donc, l’ensemble des moyens pour
générer ces ventes), alors 1 ; sinon 0.

Vous l’aurez compris, ce test est très contraignant et donc, à tout
moment, le nombre d’entreprises qui rencontrent ces 9 critères est très réduit.
Et même si on élargit la barre à la satisfaction de seulement 8 critères sur 9,
la sélection reste mineure. Précisons également que les actions qui passent ce
test sont le plus souvent des actions de petite capitalisation, peu connues du
grand public et délaissées par les analystes financiers. Au total, le succès de
cette stratégie dépend pour beaucoup de la performance de quelques actions individuelles
quasi-inconnues. Mais, au vu des bons résultats de cette formule sur les 11
dernières années, ce n’est pas gênant. Cela illustre bien que ces actions,
certes rares, sont généralement de « bonnes » actions. Et c’est bien
ce que nous cherchions.

Qu’en retenir ?

Primo, contrairement à ce que nous enseigne la théorie des marchés
efficients (selon laquelle les rendements futurs sont hasardeux), une analyse
exhaustive et sans concession de la santé financière d’une entreprise peut encore
aider à prévoir les rendements futurs de ses actions.

Deuzio, il n’y a certes pas qu’un chemin qui mène à Rome. Mais pour
réussir en Bourse, opter pour une stratégie qui fait sens et surtout ne pas y
déroger dans le temps sont des atouts essentiels.

Tertio, ce ne sont pas toujours les stars de la finance dont les
noms s’étalent dans les médias qui sont les meilleurs stratèges/conseilleurs.

Enfin, gardez à l’esprit que le succès d’une stratégie n’est jamais,
en lui-même, garant de sa poursuite à l’avenir. Mais, dans ce cas, je pressens
que la disparition éventuelle de la stratégie Piotroski sera davantage liée à
ce qu’il n’y aura plus aucune valeur en Bourse qui puisse satisfaire à 8 ou 9
critères. Ce qui sera alors le signe que le marché aura encore gagné en
efficience. Rassurez-vous : je ne pense pas que ce soit pour tout de
suite. Et d’ailleurs, cette stratégie, finalement assez basique, a encore de la
marge pour être affinée.

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