Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Prononcez le nom d’Eugene Fama et vous capterez l’attention de tout étudiant (ou ancien étudiant, s’il a aujourd’hui moins de 55 ans) en finance.
Fama, c’est indéniablement, sur les 30 dernières années, la star américaine de la recherche académique en finance de marché. Il est surtout connu pour être à l’origine de la théorie des marchés efficients, stipulant qu’il est largement inutile de vouloir, via la sélection de certaines actions, “battre” le marché, sauf à assumer une prise de risque supérieure.
Eh bien, mardi dernier, ce professeur de l’Université de Chicago, par ailleurs Prix Nobel d’Economie, était l’invité du journaliste et bloggeur Barry Ritholtz pour une longue interview d’une heure. A cette occasion, il était accompagné de son compère David Booth qui a co-fondé la société de gestion Dimensional Fund Advisors, largement inspirée des travaux de Fama.
Vous pouvez retrouver l’intégralité de cette interview ici :
https://www.facebook.com/bloombergopinion/videos/2545594228861095/
Reprenons ici quelques idées fortes.
Ce qui est particulièrement fascinant, c’est la traduction d’une idée de recherche largement méprisée à ses débuts, à savoir l’efficience des marchés et la mise en lumière de quelques facteurs de risque à la base des rendements des actions, en principes concrets d’investissement, eux-mêmes à l’origine de la création d’une entreprise de gestion d’actifs, devenue une des références de son secteur. L’académique s’est tenu à son idée qui a convaincu un entrepreneur qui en a saisi l’intérêt pour des clients jusqu’alors assez mal servis par l’offre existante.
Le premier fonds commercialisé par Dimensional, au début des années 80, était un fonds d’actions de petite capitalisation. Celles-ci, considérées comme plus risquées, devaient à terme procurer des rendements supérieurs. Mais, en Bourse, une théorie, même solide sur ses bases, peut devoir attendre plusieurs années avant de s’avérer judicieuse. Et c’est ce qui s’est passé : les petites capitalisations ont sous-performé la Bourse durant la majeure partie des années 80. Mais Fama et Booth ne se sont pas découragés pour autant.
Tout est là. L’intelligence de l’idée, l’audace de se lancer et la persévérance face à l’adversité.
Le succès de Dimensional a contribué à changer la scène de l’investissement financier pour plusieurs générations d’épargnants. L’analyse technique, peu rigoureuse intellectuellement, a perdu bon nombre d’adeptes, même si le recours assumé au facteur “momentum” est un de ses héritages. La tentation de “timer” le marché, à savoir chercher à prédire les mouvements du marché à court terme, est aujourd’hui largement discréditée. Déceler l’existence de bulles ? Quasiment impossible, selon Fama : les investisseurs ont tendance à voir beaucoup plus de bulles qu’il n’en existe en réalité. Et si la présence d’analystes financiers est utile pour rendre le marché efficient, il est vain de se baser sur leurs recommandations pour en tirer un quelconque avantage. Fama a d’ailleurs une expression assez forte, comparant les rapports de recherche de wall Street à de la pornographie. Les investisseurs doivent par ailleurs se garder de se laisser éblouir par le marketing des gérants actifs, toujours prompts à inventer de fumeux concepts, non étayés par des raisonnements ou des faits. Mieux vaut une approche systématique (et indicielle) basée sur quelques critères éprouvés sur la durée, même si d’assez longues périodes de sous-performance, impossibles à prévoir, peuvent survenir.
On peut ne pas être d’accord sur tout. Ainsi, l’efficience des marchés peut être considérée comme trop dogmatique par certains. Pour Fama, les différences de rendement s’expliquent par le risque alors que d’autres préfèrent y voir l’influence des comportements pas toujours rationnels des investisseurs.
Une chose est certaine : depuis une trentaine d’années, les investisseurs avisés doivent une fière chandelle à Eugene Fama.