« Petite chronique boursière  » – Le singe, l’analyste et le chercheur

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Si vous voulez ridiculiser un analyste financier, il suffit de lui rappeler l’anecdote suivante. Un singe qui lancerait, les yeux bandés (ne prenons aucun risque !), des fléchettes sur une liste d’actions aurait au moins autant de chances de sélectionner des actions qui s’avéreront performantes que le plus chevronné des analystes financiers, fût-il équipé de l’appareillage high tech le plus à la pointe.

Mais est-ce bien la vérité ?

Le quotidien financier américain, le Wall Street Journal, décida à partir de 1988 de lancer une expérimentation grandeur nature sur la bourse américaine : des collaborateurs aux yeux bandés (plus faciles à trouver que des singes) lancèrent des fléchettes tandis que des professionnels (au nombre de 4) choisirent des actions (1 action chacun). Au bout de 100 «matches » sur des périodes de 6 mois que fut-il constaté ? En terme de fréquence, les professionnels sortirent vainqueurs dans 61% des cas mais ne purent battre significativement le marché (l’indice boursier). Par contre, en terme de rendement obtenu, les professionnels signaient une victoire plus probante : un gain moyen de 10,8% pour les pros contre 4,5% pour les « singes » et 6,8% pour l’indice.

Donc, les analystes gardent l’avantage ?

Mwoui, enfin, pas tout à fait … En fait, les analystes bénéficiaient d’un effet d’annonce par la publication de leurs choix dans le journal, ce qui dopait les actions choisies, au moins à court terme. Ensuite, pour mettre un maximum de chances de leur côté, les analystes, tablant sur un marché boursier en moyenne orienté à la hausse, optaient pour des actions risquées, à savoir celles qui avaient le plus de chance de bien performer à court terme. Une fois ce facteur de risque pris en compte, leur performance est nettement moins favorable. Enfin, au-delà des périodes de 6 mois, les actions des « singes » performaient mieux que celles des analystes.

Hum, OK, les analystes ne sont donc pas si futés finalement. Ce qui expliquerait que l’investisseur a avantage à choisir un fonds géré « passivement », à savoir un fonds suivant un indice, plutôt qu’un fonds géré « activement », à savoir un fonds investi dans des valeurs sélectionnées par un pro, péchant par un manque fréquent de diversification. Et cela, d’autant plus que les fonds passifs sont généralement moins gourmands en frais que les fonds actifs.

Cette thèse est en tout cas corroborée par une étude récente menée par Hendrik Bessembinder, professeur de finance de l’Arizona State University. De sa recherche, balayant la Bourse américaine de 1926 à 2015, il ressort en effet que les actions individuelles sont généralement un aller simple pour des rendements (très) décevants, comparativement à des obligations d’Etat de courte durée (« Treasury bills »).

Certes,  collectivement, les actions US sortent victorieuses avec, sur la période, un rendement mensuel moyen (en USD) de 1,13%, contre 0,38% pour les obligations d’Etat. Mais quand on examine les rendements des actions individuelles, le tableau s’assombrit : seuls 42% des actions, sur l’ensemble de leur durée de cotation, performent mieux que les obligations d’Etat. Et plus de la moitié génèrent des rendements négatifs. En réalité, la création de richesse n’est le fait que d’une petite minorité d’actions, moins de 4% d’entre elles. La moitié de la richesse créée se concentre même sur … 86 actions tout au long des 9 décennies étudiées. Ce sont le plus souvent des actions d’entreprises qui parviennent finalement au statut de monopole ou quasi-monopole dans leur secteur respectif.  Le top 5 ? Exxon, Apple, General Electric, Microsoft et IBM.

On le voit bien, l’amateur d’actions individuelles, professionnel ou non d’ailleurs, part avec un lourd handicap : le risque considérable d’un rendement décevant, voire négatif. Une fatalité ? Non ! Car, si, pour toute action individuelle, la probabilité d’un faible rendement est élevée sur sa durée de vie (surtout, signalons-le, pour des actions d’assez faible capitalisation), il n’en demeure pas moins qu’à certains moments, bien identifiés, une action peut être bon marché (rendement attendu à moyen terme élevé) ou chère (rendement attendu à moyen terme faible). L’investisseur discipliné, doté d’un mental et d’une méthodologie robustes, peut donc tenter l’aventure. Pour espérer sortir gagnant, il devra appliquer sa démarche sur un échantillon d’actions, parfois sur une assez longue période de temps. Donc au-delà des 6 mois des matches entre les « singes » et les pros. Ou alors compter sur la chance. Mais, au vu des probabilités, mieux vaut éviter cette dernière option, surtout à l’heure où les valorisations boursières sont globalement généreuses, du moins sur les marchés développés.

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