« Petite chronique boursière  » : Le triomphe de la fiction sur la raison

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

“Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, ce n'est pas qu'ils ne croient plus en rien, c'est qu'ils sont prêts à croire en tout”.

Il est toujours périlleux de commencer une chronique par une citation, qui plus est lorsque son origine est douteuse (elle est attribuée sans certitude au grand écrivain britannique G.K. Chesterton 1874-1936). Car, d’autorité, elle assène une apparente vérité avec la force d’une évidence, conditionnant toute la suite de l’exposé, alors que ce n’est jamais qu’une opinion parmi d’autres. Je suis néanmoins frappé par la pertinence de cette phrase à une époque où, pourtant, l’information est abondante et où la rationalité est censée avoir gagné la partie sur tous les obscurantismes. Si la crédulité emporte trop souvent l’esprit non-préparé du pékin moyen, elle peut aussi influencer les décisions de responsables éminents avec des conséquences potentiellement dramatiques.

Et là, légitimement, vous vous demandez : “Mais où diable veut-il en venir ?”.

Tout simplement à ce qui se passe actuellement dans nos pays hautement développés et sur nos marchés financiers si sophistiqués, à l’occasion de la crise sanitaire du covid19. Et je vais tenter de l’illustrer par 3 exemples.

1 – Une hallucination collective ?

En avril de cette année, plus de la moitié de la population mondiale était confinée, dans la mesure du possible, à domicile. Surprise (et source d’inspiration pour les apprentis dictateurs) : cette mesure, jusqu’alors inimaginable, décrétée par les autorités a rencontré peu, voire très peu, de résistance des populations, y compris dans les démocraties libérales les mieux établies. La peur s’est emparée du plus grand nombre, reposant sur des estimations de plusieurs millions de morts à l’échelle planétaire, si rien n’était fait. A la mi-mars, les gouvernements ont été pris de panique devant ces chiffres. En France, il était question d’un bilan possible de 500000 morts. De qui émanent ces chiffres ? D’un épidémiologiste britannique, Neil Ferguson, qui a recours à la modélisation informatique. Face aux conséquences lourdes d’un confinement de plusieurs semaines ou mois, les décideurs publics ont-ils pris du recul en consultant d’autres spécialistes ? Il y a peu de doute. Mais, probablement également, ont-ils été fortement ébranlés par les prévisions les plus pessimistes. Ont-ils alors, après avoir atermoyé en début d’année, confondu vitesse et précipitation en mars ? A la lumière des critiques qui circulent aujourd’hui sur le sérieux des travaux de Neil Ferguson et alors que le contre-coup économique de la séquence s’annonce très douloureux, on peut se poser la question. D’autant plus que, dans la plupart des cas, ils n’avaient pas vraiment de plan B de portée équivalente, vu l’état d’impréparation sanitaire de nos sociétés. Dès qu’un gouvernement eut pris une mesure radicale de confinement, les autres ont eu tendance à suivre (sauf la Suède). Même un pays plus précautionneux comme la Suisse qui avait pourtant tenu à jour des plans élaborés de gestion d’une pandémie a fini par verser dans le mimétisme, quoiqu’adoptant une forme de confinement un peu moins rigide qu’ailleurs. L’Histoire n’est pas encore écrite mais elle pourrait s’avérer cruelle pour ceux qui ont pris le risque d’affaiblir durablement leur pays.

2 – La Bourse déjà à nouveau conquérante

Aujourd’hui, il n’y a plus grand-monde pour anticiper une sortie de crise économique en V, consistant en un rebond massif et rapide de l’économie post-pandémique. Les dégâts d’ores et déjà occasionnés continueront à produire leurs effets délétères sur de nombreux trimestres, même si le virus devait se raréfier prochainement. Par contre, après la forte chute initiale des Bourses, les investisseurs sont rapidement revenus aux affaires, désireux de ne pas rater la remontée qu’ils attendaient comme inévitable. Aux Etats-Unis, le S&P500 est déjà revenu au niveau de l’automne dernier tandis que le Nasdaq est tout simplement en hausse depuis le début de l’année ! En Europe, le rebond boursier est également à l’oeuvre mais de façon moins spectaculaire. Certains salueront le sens de l’opportunisme de ces investisseurs. D’autres (dont je suis) s’inquièteront d’une démarche plutôt spéculative de boursicoteurs assez jeunes et néophytes (en mal de paris sportifs ?) qui se sont laissé séduire par des narratifs certes assez puissants. “Vous avez raté les hausses et les rebonds des années précédentes ? C’est votre chance aujourd’hui de vous positionner : les taux d’intérêt resteront bas et les Banques Centrales soutiendront les marchés. Vous n’avez rien à craindre.”. Je n’achèterais pas les yeux fermés cette version optimiste de la situation. Si ces dernières années, les rebonds après les creux ont été en effet assez rapides, il n’en a pas été toujours de même : au titre de meilleur exemple, après la crise de 1929 (qui a duré en Bourse jusqu’en 1932), il a fallu attendre le milieu des années 50 pour que Wall Street efface toutes ses pertes. Et, surtout, les différences se creusent actuellement entre les fondamentaux des entreprises (situation financière, perspectives et qualité bénéficiaires) et les cours des actions. Les Banques Centrales ont certes éteint l’incendie en injectant des liquidités par création d’argent numérique mais elles seront sans doute impuissantes à restaurer la solvabilité d’entreprises, pour certaines et non des moindres, déjà fragiles, si celle-ci devait souffrir d’une longue crise économique. Des chocs de productivité et de fiscalité risquent également de laisser des traces au niveau de la rentabilité, même si les chiffres d’affaires se reconstituaient. Soyons clairs : la deuxième vague boursière est plus probable qu’une deuxième vague épidémique.

3 – Des ETF féériques

J’ai déjà eu l’occasion de m’en féliciter. De nos jours, les investisseurs délaissent de plus en plus les fonds gérés activement (gourmands en frais et aux performances douteuses) au profit de fonds gérés passivement, de type ETF (en suivant l’évolution d’un indice). Bien entendu, les gérants actifs ne voient pas cette évolution d’un bon oeil. Et donc l’ingéniérie financière de leurs sociétés est à pied d’oeuvre pour tenter de sauver ce qui peut l’être. On va donc créer des ETF suivant des indices créés de toutes pièces et plus sexy que le CAC40 ou le S&P500 avec un petit côté dynamique et si possible sur des thématiques dans l’air du temps. Au petit jeu de qui va raconter l’histoire la plus salivante, reconnaissons que Lyxor, filiale de la Société Générale, ne s’en tire pas trop mal. Lyxor lance en effet une série d’ETF basés sur des thèmes d’avenir constitutifs du fameux mais encore hypothétique Monde d’après (villes intelligentes, économie numérique, mobilité du futur, technologie disruptive, consommation des “millenials”) reprenant des actions choisies grâce à l’intelligence artificielle et passées au filtre de l’ISR (Investissement Socialement Responsable). Thèmes d’avenir, intelligence artificielle, ISR … Tout ça en même temps et pour des frais annuels de 0,45% à partir de septembre 2021 (0,15% avant cette date). Nul doute que, notamment parmi les nouveaux investisseurs arrivés en Bourse à l’occasion de cette crise, certains seront tentés par ce genre de produits. Mais le marketing brillant qui les entoure n’assurera en rien la vigueur de leur parcours. Selon une étude récente de Morningstar, seuls 69% des fonds thématiques lancés avant 2015 ont survécu, le taux de survie tombe à 45% pour les fonds lancés avant 2010 et à un peu plus de 20% pour les fonds lancés avant 2005. Parmi les fonds ayant survécu, 41% ont battu le MSCI World (indice mondial) sur 5 ans, et 26% sur 10 ans. Quant aux frais de cette gamme Lyxor, à titre de comparaison, on trouve aujourd’hui des ETF tout à fait intéressants à moins de 0,1%.

Robert Shiller, Prix Nobel d’économie américain, en est convaincu. Aujourd’hui, ce sont les histoires et leur portée plus émotionnelle que rationnelle, à travers leurs échos dans les médias (y compris sociaux), qui guident les comportements. Et pourtant les évidences les plus tapageuses sont souvent trompeuses, surtout pour des esprits non préparés à les critiquer dans le tumulte des événements. Que vous soyez chef de gouvernement ou modeste investisseur, prenez garde à ne pas vous laisser “embarquer” là où on veut vous mener mais veillez toujours à prendre en compte un maximum d’éléments et de points de vue pour étayer vos décisions.

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