Petite chronique boursière : Les actions pourries

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Il y a tout juste 20 ans, un des plus puissants financiers américains, Michael Milken, véritable star de la Drexel Burnham Lambert, était condamné à 10 ans de prison pour s’être rendu coupable de fraudes à la législation boursière.

En lisant un article récemment consacré à la révolution financière qui a déferlé sur les Etats-Unis dans les années 80 (pensez également au célèbre film d’Oliver Stone, « Wall Street »), je n’ai pas manqué de relever l’analogie entre les fameuses « obligations pourries » (« junk bonds ») dont le sieur Milken s’était fait une spécialité et le retour aujourd’hui de ce qu’on pourrait appeler les « actions pourries ».

Les investisseurs ont en effet de quoi se méfier de ce qui brille : après l’effondrement de la bulle technologique à la fin du XXe siècle, ils se sont à nouveau retrouvés piégés par la finance toute puissante du début du XXIe siècle. A chaque fois, l’horizon semblait dégagé pour engranger de juteux rendements. Et c’est la désillusion qui a été au rendez-vous.

Alors, les « actions pourries », est-ce la solution ?

Disons d’emblée que les « obligations pourries » chères à Milken souffrent d’une image négative injuste dans l’inconscient collectif. Elles ont en effet permis, au cours de ces fameuses années 80, à des entreprises et des secteurs peu prisés par les grands argentiers de se développer, amenant concurrence et innovations dans des domaines alors fossilisés (télécoms et médias notamment). Aujourd’hui encore, ce marché reste florissant.

Ensuite, les investisseurs y ont, plus souvent qu’à leur tour, trouvé leur bonheur. Très tôt, Milken avait compris que les rendements de telles obligations étaient suffisamment élevés pour plus que compenser leur risque de défaut. Des portefeuilles judicieusement diversifiés en obligations pourries battaient ainsi facilement des portefeuilles d’obligations traditionnelles.

D’où la tentation de répliquer ce raisonnement aux « actions pourries », à savoir des actions (le plus souvent des petites capitalisations) dont les cours ont été particulièrement massacrés par des investisseurs déçus (situations financières et/ou bénéficiaires très dégradées). Ces actions pourraient ainsi se retrouver à des niveaux de cours à ce point bas (sous la valeur des actifs déduction faite des dettes) qu’elles offriraient, malgré la qualité douteuse des entreprises qu’elles représentent, des perspectives de rendement non négligeables, voire supérieures aux risques à assumer.

En surfant sur Internet, je suis tombé sur un blog intitulé « Les daubasses » (ici : http://www.daubasses.com) . Ses concepteurs gèrent en réel un tel portefeuille d’actions pourries (« daubasses ») depuis près de deux ans. Ils communiquent ainsi à leurs abonnés (et aux autres, avec un temps de retard) leurs analyses et leurs mouvements d’achat et de vente d’actions. Ce style de gestion pourrait se concevoir comme étant une approche « valeur » (ou « substance » ou « value ») radicale, à la Benjamin Graham. Quels en sont les résultats jusqu’ici ? Eh bien, en date du 5 novembre 2010, soit après 1 an et 346 jours, le rendement cumulé obtenu est de 413% ! Certes, nos sympathiques amis ont entamé leur activité à des niveaux boursiers déprimés et on profité à plein de la reprise de 2009. Mais, à titre de comparaison, la référence utilisée, à savoir l’ETF Lyxor MSCI World a grimpé de seulement 40%.

Est-ce à dire qu’investir dans des « daubasses » soit LA solution ?

Je ne vous inciterai certainement pas à suivre aveuglément les conseils de ce blog sans avoir bien réfléchi à la question. Notons d’ailleurs que les investisseurs qui gèrent ce portefeuille mettent eux-mêmes en garde tout abonné à leur service contre toute décision précipitée. De même, si vous voulez vous approprier ce style de gestion et partir, à votre propre compte, à la chasse à la daubasse, sachez que l’exercice requiert une certaine dose de technicité financière. D’autant plus que rares sont les investisseurs ayant suffisamment de temps et d’argent pour se constituer un portefeuille à ce point diversifié qu’ils peuvent se dispenser d’une analyse assez fine des fondamentaux des entreprises : en effet, analyser et valoriser une situation bilantaire ne va pas sans effectuer certaines corrections pour rétablir une « vérité économique » là où on ne trouve souvent qu’une « évaluation comptable ». Bien entendu, au plus les actions que vous trouverez seront décotées et au moins la justesse de votre analyse sera indispensable pour espérer au moins un rendement satisfaisant. Attention néanmoins : il est probable que le bon rendement récent des daubasses soit au moins en partie lié aux turbulences économiques et boursières de ces derniers temps. En situation plus « normale », la performance pourrait ne pas être aussi fantastique.

Il n’empêche qu’une approche rigoureuse, voire radicale, de type « value » a nettement plus de chance à terme de dégager des rendements intéressants qu’une stratégie consistant à acheter niaisement ce qui est à la mode. Dans cette optique, les investisseurs à succès seront ceux qui pourront repérer, au sein d’un océan de daubasses, les poissons à la chair la plus délicate, à savoir les dossiers présentant les meilleurs profils de rendement pour le risque collatéral à supporter.

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