« Petite chronique boursière » : L’inconnu et l’inconnaissable

Vincent_colot Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Restons lucides. Pour tout investisseur, et plus encore s’il n’est qu’un amateur plus ou moins éclairé, faire la différence en Bourse (à savoir, battre significativement l’indice) est difficile. La raison est assez simple : de plus en plus sophistiqués et de mieux en mieux informés, de plus en plus d’investisseurs interagissent sur les Bourses dans une situation de concurrence directe. Bien entendu, toute concurrence forte réduit les perspectives de gains.

C’est sans doute une des raisons pour lesquelles, à l’heure de l’électronique toute puissante, les investisseurs professionnels ont développé ces dernières années des programmes informatiques hyper-perfectionnés leur permettant de profiter sur quelques micro-secondes d’infimes imperfections de marché. Ces « high frequency traders » multiplient les allers et retours en tablant sur le fait que les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Tant mieux pour eux. A condition qu’ils trouvent tout de même la parade pour empêcher des phénomènes fâcheux à l’instar du « flash crash » du 6 mai dernier à New York qui a vu la Bourse plonger précipitamment sous l’effet de programmes informatiques devenus incontrôlés. Cela étant posé, comment peut se débrouiller le petit investisseur ? Sur le principe, mais sur le principe seulement, c’est assez simple. Il doit sortir des sentiers battus et rebattus et s’aventurer là où les professionnels réchignent à aller, c.-à-d. là où l’inefficience est la plus grande.


Une voie possible est celle des actions peu suivies par les analystes et gestionnaires de fonds, à savoir les petites valeurs bon marché : elles ne constituent pas une cible de taille suffisante pour intéresser réellement les requins de la finance. Il y a donc souvent des affaires à réaliser sur ce segment. J’en ai déjà parlé.

Une autre voie est celle des situations où les modèles des petits génies de la finance mathématisée restent muets : les situations où l’issue est totalement incertaine. Ni la nature des issues possibles ni leur probabilité ne peuvent être correctement estimées. Il s’agit d’événements le plus souvent uniques, ou à tout le moins dont l’histoire ne garde que peu d’exemples à partir desquels raisonnablement élaborer des scénarios.

Lorsqu’il décide d’emprunter l’une ou l’autre de ces voies, l’investisseur doit avant tout éviter les pièges les plus grossiers qui l’exposeraient à des pertes dont il est difficile de se relever. Pour les petites capitalisations bon marché, il est possible de déterminer une « check list » permettant un premier tri dans la qualité des dossiers proposés à l’examen. Dans le cas des événements aux issues inconnues et inconnaissables, la tâche est plus délicate mais potentiellement plus rapidement rémunératrice.

Des exemples ? Ils sont légion. Automne 2008 : Lehman Brothers fait faillite, envoyant une profonde onde de choc dans tout le système financier international. Le capitalisme vit-il ses dernières heures ? Faut-il redouter des faillites en chaîne de toutes les grandes banques mondiales ?  Ou encore la récente catastrophe de la plate-forme pétrolière BP dans le Golfe du Mexique. Comment endiguer la fuite ? Quelle sera l’étendue des dégâts et donc de la facture à payer ? Quelles contraintes seront appliquées par la suite aux autres exploitations offshore ? Dans les quelque jours, voire semaines, après cette catastrophe, l’investisseur était dans le doute absolu. Le cours de l’action BP avait, assez rapidement, fondu de moitié. Etait-ce suffisant ? Trop ?

Attention à éviter d’emblée deux écueils. Ne misez pas trop rapidement sur votre capacité à arrêter une opinion ferme et définitive lorsque de telles occurrences surviennent. Et, avant de prendre une décision (acheter ou vendre des titres BP, par exemple), posez-vous cette question : celui à qui je vais acheter ou vendre ces titres, peut-il avoir de meilleures informations sur l’état de la situation ? L’analogie avec le poker est éclairante : un joueur qui n’arrive pas à déterminer qui est le pigeon est souvent le pigeon … Mais, parfois, et même plus souvent qu’on ne le pense, tous les investisseurs sont dans le même état de perplexité. La situation est, au sens étymologique du terme, critique : elle peut basculer dans un sens ou dans un autre.

Que faire dans ce cas ? Recherchez les opinions de ceux qui ont démontré par le passé la qualité de leur « logiciel mental », à savoir leur capacité à bien analyser ce genre de situation stressante, même si les événements sont différents. Ainsi, en pleine crise financière, Warren Buffett, le célèbre investisseur américain, avait, au moment où la Bourse atteignait des records à la baisse, manifesté sa confiance dans le potentiel de rebond des actions américaines. En apprenant de leur raisonnement, vous améliorerez le vôtre. Un autre indicateur intéressant est l’exposition médiatique de l’événement : une fois la nouvelle elle-même annoncée, dans une première phase, les « unes » des grands quotidiens économiques vont de plus en plus focaliser leurs colonnes sur l’événement et sur toutes les répercussions négatives qui vont en découler. Cette phase coïncide généralement avec une période de baisse du (ou des) cours de Bourse. C’est une phase d’émotivité persistante, voire ascendante, qui est souvent une période de surréaction négative, compte tenu des l’information disponible à ce moment-là. Lorsque les gros titres s’estompent et que le cours de l’action (ou des actions) se stabilise pendant quelques jours, l’investisseur peut tenter de se positionner à l’achat. Lorsque la Bourse se rend compte, en effet, que le monde ne s’écroule pas (en tous cas, pas cette fois-là) ou que la faillite de l’entreprise considérée n’est pas l’hypothèse la plus réaliste dans l’immédiat, le rebond boursier peut être rapide et violent (une hausse de quelques dizaines de pourcents n’est pas rare), même si tout le terrain perdu n’est pas regagné. Mais, à nouveau, attention : cette période de redoux  ne doit pas aveugler l’investisseur qui fera mieux, le plus souvent, de prendre assez vite son bénéfice. Car, tôt ou tard, les questions de fonds rejailliront, amenant de nouveaux doutes et, probablement, une nouvelle faiblesse en Bourse. Le niveau de valorisation sera alors déterminant pour présider à la décision.

Avancer dans l’ignorance totale de l’avenir est certes une aventure à haut risque. Mais vous pouvez profiter d’un cadre où les professionnels ne peuvent tirer profit de leurs modèles mathématiques sophistiqués. Ce qui, paradoxalement, vous place dans une situation peut-être plus favorable que si vous y voyiez comme en plein jour. Limitez en tous cas l’ampleur de vos investissements et privilégiez les situations où, si vous avez finalement raison, le gain qui en résulterait serait significativement supérieur à la perte à endurer si vous avez tort. Ici encore, seule l’expérience vous guidera. Car c’est à la longue que cela paiera.

Laissez un avis

Envie d'entreprendre
Logo
Lorsqu’activé, enregistrer les permaliens dans paramètres - permaliens
toto togel https://manajemen.feb.unri.ac.id/thailand/ situs togel