Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
La Bourse a ses humeurs : elle peut être euphorique, déprimée ou encore attentiste, sans direction précise.
Pour décoder la substance de ces humeurs, l’investisseur doit saisir « l’air du temps », par exemple en se penchant sur les gros titres des quotidiens financiers. En la matière, il n’est pas toujours utile d’avoir un doctorat en subtilité : il y a un an, la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers et le cafouillage généralisé qui s’en est suivi cadrait évidemment avec une grosse chute des indices. Assurément plus délicate est la situation actuelle : depuis le printemps dernier, on a assisté à une remontée boursière très sensible alors que le scénario de sortie de crise n’est encore que fragile. Avoir évité le pire nous permettrait de profiter d’un long (et puissant) soupir de soulagement boursier.
Une fois qu’il a cerné le contexte, l’investisseur devra tenter d’en inférer une ligne de conduite. Comment interpréter la situation ? Les raisons avancées pour « justifier » l’humeur boursière du moment sont-elles convaincantes ? Ou bien la Bourse nous raconte-t-elle une histoire à dormir debout ? Pour y voir plus clair, l’investisseur n’est fort heureusement pas livré à lui-même. Il pourra s’entourer d’avis de spécialistes (en économie ou en finance) dont il aura déjà éprouvé le bon sens. Par exemple, les lecteurs du Financial Times liront avec intérêt les analyses toujours argumentées de John Authers ou de Martin Wolf. Bien entendu, il ne s’agit pas de suivre aveuglément ces éditorialistes mais les questions qu’ils soulèvent sont le plus souvent d’excellentes questions à méditer. L’Histoire est aussi une amie précieuse : à tout le moins, l’investisseur se méfiera de toute explication qui reposerait sur l’argument selon lequel « cette fois, c’est différent ». Régulièrement, en effet, pour justifier l’injustifiable (des cours trop bas ou plus souvent encore, des cours trop hauts), des experts, parfois parés de titres respectables, nous expliquent que si la Bourse est à un tel niveau, c’est parce que l’économie mondiale a fondamentalement changé et donc les règles économiques antérieures ne doivent plus s’appliquer. Eh bien, non ! L’automne dernier ne fut pas le début de la fin du monde. Pas plus qu’à la fin du XXe siècle une illusoire Nouvelle Economie ne nous a délivrés à jamais de l’inflation et des cycles de l’activité. Ceux qui auront cru à cette fable se seront brûlé au moins les doigts. Mais puisque rien ne change fondamentalement sur la planète économique, l’investisseur a toutes les raisons de manifester une certaine inquiétude quant aux niveaux boursiers actuels. Sur la scène internationale, d’énormes masses de capitaux sont toujours à la recherche de leur meilleur usage possible avec la perspective de reformer de nouvelles bulles. Certes, le sauvetage du système financier justifie une remontée des Bourses mais les niveaux récents semblent bel et bien trop en avance sur le potentiel économique. S’il est sans doute exagéré d’évoquer une bulle similaire à celle de 2007, le diagnostic actuel plaide tout de même toujours pour une certaine surévaluation boursière.
Attention : ce type de raisonnement, même s’il devait s’avérer correct in fine, ne permet pas de « gagner » à tous les coups, du moins pas à court ou moyen terme. Le mécanisme d’auto-correction des Bourses, vous l’aurez compris, est loin d’être parfait : la Bourse peut avoir tort longtemps avant d’opérer une correction alors brutale. Il suffira d’évoquer ici l’allusion en 1997 de Alan Greenspan, patron de la Réserve Fédérale américaine, à « l’exubérance irrationnelle » boursière : la bulle n’éclatera pourtant qu’en 2000 après que ce même Greenspan aura finalement largement adopté cette théorie de la Nouvelle Economie.
Quant à l’investisseur qui hésitera occasionnellement sur l’interprétation à donner au comportement de la Bourse, il aura tout intérêt à prendre une position INVERSE à l’humeur du moment : si la Bourse est en forme, il sera prudent et si la Bourse fait grise mine, il se fera plus audacieux.
Mais pour ce qui est du CAC 40 aujourd’hui : méfiez-vous ! La messe est loin d’être dite …