Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Récemment, dans ses prévisions financières pour 2019, la très sérieuse banque américaine Bank Of America Merrill Lynch tenait pour improbables cette année des fusions/acquisitions majeures dans l’industrie pharmaceutique. Bravo l’artiste car plus récemment encore, il y a quelques jours seulement, le laboratoire américain Bristol-Myers Squibb, un des géants du secteur, annonçait la reprise du groupe biotech Celgene pour quelque 90 milliards de dollars. Et, bien entendu, chaque “spécialiste” y est allé de son laïus pour expliquer qu’une telle offre n’était pas du tout surprenante vu que les grands groupes pharma (comme BMS) ont du cash et que les innovations, cruciales dans la course aux traitements contre les cancers, se font dorénavant dans les boîtes biotech (comme Celgene).
Ne croyez pas que cette histoire soit une incongruité. L’information financière foisonne de ces cas où ce qui est probable (improbable) un jour devient une absurdité (une évidence) le lendemain ou le surlendemain. Et cela, précisons-le, même si rien n’a fondamentalement changé entretemps.
Or, à cette période de l’année, les investisseurs sont tout spécialement exposés à ces “fake news” institutionnalisées.
Traditionnellement, en effet, le passage à l’année nouvelle est prétexte à des prévisions de toutes sortes pour les 12 mois à venir. Sur un ton on ne peut plus sérieux, des experts (plus ou moins auto-proclamés) assènent ce qui va (probablement) se passer en 2019 sur des sujets aussi divers que la croissance économique, les taux d’intérêt, l’inflation, les secteurs qui auront le vent en poupe en Bourse et ceux qui resteront en arrière, l’évolution globale des bénéfices des entreprises, l’issue des grands thèmes géopolitiques (tensions USA-Chine, Brexit, situation politique italienne, etc), les niveaux des devises et des différents indices boursiers en fin d’année, les styles d’investissement qui vont le mieux performer, etc. S’il est probable que, sur certains points, des différences notables subsistent entre les prévisionnistes, certains sujets récoltent un large consensus.
Soyons clairs. Les émetteurs de telles prévisions savent, eux, quoi en penser : pas grand-chose. C’est pour eux un simple rituel. Ils ne peuvent juste pas en faire l’économie vu que tous leurs confrères s’adonnent à cette même pratique. En particulier, ils sont évidemment parfaitement conscients que l’année civile n’est parée d’aucune vertu particulière comme horizon de placement. Mais les petits investisseurs peuvent être grugés par le sérieux qui semble entourer cette grand-messe des prévisions annuelles. Le danger est double. Primo : croire que ces consensus correspondront nécessairement à la réalité. Secundo : prendre des décisions d’investissement en fonction des ces consensus.
Or, et vous l’avez déjà compris, même lorsqu’ils sont largement d’accord entre eux, les prévisionnistes se trompent plus souvent qu’à leur tour. Ainsi, aux Etats-Unis, entre 2010 et 2017, sur un total de 62 prévisions considérées comme “sûres” au début d’année, pas moins de 43 se sont avérées erronées. Ensuite, une prévision, serait-elle correcte, n’engendre pas une réponse univoque en matière de placements. Par exemple, eussiez-vous pronostiqué (contre l’avis général) une victoire de Donald Trump à l’élection US de fin 2016, vous vous seriez sans doute trompé sur l’évolution (finalement positive, contre l’avis général) de la Bourse américaine dès l’annonce de sa victoire et sur toute l’année 2017.
Croire sans prudence à des prévisions, même consensuelles, et en déduire des décisions d’investissement à court terme, ce n’est pas investir, c’est spéculer. Avec le risque évident de cruelle déconvenue. Bien analyser un placement, c’est d’abord en apprécier la valorisation (de bon marché à chère) et la qualité fondamentale (quel risque ?) et c’est ensuite en évaluer l’apport au sein d’un portefeuille diversifié dans une perspective de long terme. A bon entendeur …