Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Vous voulez savoir ce qui fera la une de vos publications financières favorites ces prochaines semaines ? L’impact économique du mouvement de grèves en France ? Non. Tout le monde s’accorde déjà à dire qu’il sera limité, même en cas de blocage dur. Les prochains développements du Brexit ? Peu probable. Le sujet traîne en longueur, la résignation de la sortie britannique est actée et il n’y a (presque) plus personne pour crier à un désastre économique ou à la fin de la civilisation occidentale (!). Quant aux détails des modalités du divorce et la préparation de nouveaux traités commerciaux indispensables, les négociations seront encore longues. L’impeachment visant le président américain, Donald Trump ? Are you kidding ?
Non, ce ne sera rien d’autre que du grand classique de saison, le marronnier pur jus, à savoir les prévisions économiques pour l’année qui s’annonce. Les journalistes économiques n’y passeront pas des nuits blanches. Aucune inquiétude : depuis plusieurs années, les grandes institutions, telles que les banques, les gestionnaires de fonds ou encore les organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, …) rendent publiques leurs travaux en la matière sur Internet. Et on peut légitimement soupçonner qu’ils se copient les uns les autres. Les journalistes se serviront largement dans ce vivier, certains oubliant d’ailleurs opportunément de citer leurs sources …
Non pas que la pression soit maximale en matière de qualité ou d’originalité. L’exercice ne recèle en effet que rarement de grandes suprises, tant il se fonde le plus souvent sur le statu quo, à savoir la poursuite des tendances récentes. A l’aube de 2020, ces dernières ont pour noms taux d’intérêt proches de zéro, voire négatifs, ralentissement du commerce mondial sur fond de tensions géopolitiques (USA-Chine, surtout), croissance économique modérée, inflation faible. Pas de quoi modifier, sur la base de la seule lecture de ces rapports, les portefeuilles de la plupart des investisseurs, même si les plus affûtés seront à la recherche de signaux indiquant d’éventuelles inflexions à moyen terme (une récession qui se profile, une inflation qui frémirait à la hausse, …). Plus fondamentalement, dans un contexte de grande incertitude tel que nous le connaissons aujourd’hui, miné par de grandes fragilités systémiques, chacun aura conscience que les prévisions, même consensuelles, sont à prendre avec des pincettes.
Ce qui n’empêchera pas, comme à chaque fin d’année également, et ce depuis près de 20 ans, une banque danoise, la Saxo Bank, de se distinguer en publiant quelques prévisions extrêmes (“Outrageous predictions”). Elles se présentent sous la forme de scénarios “disruptifs” possibles, suivis de leurs conséquences sur les marchés. La banque précise néanmoins que, bien qu’estimant que cette époque de “fins de cycles” (économiques, monétaires, sociaux, environnementaux, …) soit propice aux disruptions, l’exercice reste pour elle marginal et ne constitue en aucun cas le référentiel de base à ses opérations courantes. Cela posé, quelques exemples ? Un brusque ralentissement des progrès de l’intelligence artificielle, impactant négativement l’industrie des semi-conducteurs. Les actions des entreprises du secteur ayant été à la fête ces dernières années, gare à elles ! Ou une nette victoire des Démocrates à la prochaine élection présidentielle US, avec un généreux programme social à la clé et d’abord une baisse imposée des prix des médicaments. Méfiez-vous dans ce cas si vous détenez des fonds sectoriels pharma ou biotech ! Ou encore l’apparition d’une devise asiatique numérique de réserve pesant à la baisse sur le dollar américain.
De tels scénarios, et quelques autres, s’ils se concrétisaient en 2020, bouleverseraient l’actuel consensus des prévisionnistes et provoqueraient des remous sur les marchés. Ici, le rassurant “probable” cède sa place au simple “possible”. De quoi avertir l’investisseur que tout ne se passe pas toujours comme prévu, du moins à court terme. Cela se passe d’ailleurs rarement comme prévu ! En être conscient permet d’ailleurs de garder son sang-froid en cas de baisses et de bien calibrer son profil de risque en fonction de son horizon de placement. Mais celui qui baserait sa stratégie de placement sur l’un ou l’autre de ces scénarios serait dans une démarche très spéculative et donc très dangereuse. Car bien d’autres hypothèses sont envisageables et rares sont ceux qui perçoivent à l’avance les raisons des grosses secousses sur les marchés.