« Petite chronique boursière  » : Un peu de hauteur … après la dégringolade

Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

En début de semaine, alors qu’on assistait à une glissade brutale des marchés, je me suis posé des questions (existentielles, cela va de soi) sur la nature de ma prochaine chronique, à savoir celle-ci.

Dans un premier temps, j’avais envisagé d’aborder le sujet sous l’angle de l’éventuelle “surréaction” boursière à la crise sanitaire. Je me suis vite aperçu que si le problème pouvait légitimement être posé, il serait difficile d’y apporter une réponse convaincante. Selon une évidence toute mathématique (la traduction boursière du manque à gagner en terme bénéficiaire à court terme pour les entreprises), une telle correction (ponctuée notamment par la plus forte baisse sur une séance du CAC 40 hier jeudi, à -12,3% ; ce qui porte le recul sur un mois de cet indice à -33,8%) d’origine purement sanitaire ne peut se comprendre si le coronavirus devait disparaître avec les beaux jours ou même endéans l’année.  Mais, à l’heure actuelle, face à un virus encore inconnu il y a quelques mois, qui peut être sûr de la durée épidémique ? De même, cette correction pourrait parfaitement se justifier si le coronavirus, tout dramatique qu’il reste pour les populations spécialement à risque, est surtout un prétexte au dégonflement d’une bulle financière qui, elle, constituerait en fait le vrai problème. Après un long (et même anormalement long) rally boursier de plusieurs années, alimenté davantage par les politiques “non-conventionnelles” des banques centrales que par de sains et vigoureux résultats économiques, la baudruche se devait sans doute de perdre de sa superbe. A condition, bien entendu, que cette bulle boursière soit bien avérée en tant que telle  …

Ensuite, j’ai réfléchi aux entreprises potentiellement les plus exposées. Au-delà des secteurs vite identifiés (tourisme, événementiel, transport aérien, luxe, …), il m’est apparu que les entreprises les plus endettées avaient tout à redouter de cet épisode, surtout s’il tire en longueur. Déjà fragilisées en Bourse à la fin 2018 par la perspective d’une remontée des taux d’intérêt (qui n’avait finalement pas eu lieu), ces entreprises peuvent légitimement craindre actuellement une récession mondiale, les privant d’une partie non négligeable de leurs rentrées et les empêchant ainsi de rembourser au rythme prévu leurs dettes, parfois énormes et souvent contractées à l’occasion de projets aventureux (expansions internationales au prix fort, rachats massifs d’actions à des cours élevés, …). Dans les cas les plus préoccupants, des faillites ne seraient pas à exclure … Mais là encore, même si la prudence n’est pas absurde, la “leçon” donnée serait vite oubliée si le virus s’arrête de lui-même dans les prochains mois ou si un vaccin est rapidement trouvé et efficacement administré.

Bref, voilà succinctement résumé, ce que je vous aurais dit plus en longueur si je n’avais pas conclu à la vanité des propos, par manque de visibilité sur la probabilité à attacher aux différents scenarii possibles.

Mais j’ambitionne plutôt que l’investisseur retienne quelque chose de durable et d’utile des événements en cours. Pour cela, rien ne vaut de prendre de la hauteur de vue en compagnie d’un des grands sages historiques de l’investissement boursier, à savoir Benjamin Graham, jadis un des mentors du jeune Warren Buffett. Et lorsque ses conseils sont relayés et mis en perspective par un des journalistes financiers les plus avisés de la planète, à savoir Jason Zweig du Wall Street Journal, j’ai opté pour une saine paresse et donc une traduction quasi-intégrale de sa chronique récente (10 mars). Gageons qu’il ne m’en tiendra pas rigueur. Plus probablement encore, il n’en saura jamais rien 😉 La voici :

“Oubliez ce que la Bourse est en train de faire. A la place, réfléchissez à ce que vous, en tant qu’investisseur, devriez faire.

Ce conseil de Benjamin Graham, le grand analyste financier et mentor de Warren Buffett, peut vous aider à naviguer dans la tempête boursière. Devez-vous vous alléger ou garder le cap ? Comment agir aujourd’hui pour ne pas vous accabler plus tard d’avoir pris trop ou trop peu de risque ? Quelques enseignements de Graham peuvent vous aider à mieux vous connaître et à agir en conformité avec qui vous êtes.

[…] Tout d’abord, déterminez si vous êtes un investisseur ou un spéculateur. “La première tâche de l’investisseur est d’acquérir et de conserver des actifs à des prix raisonnables”, selon Graham. Le spéculateur, par contre, tente principalement “d’anticiper et de profiter des fluctuations du marché”.

Si vous êtes un investisseur, “les fluctuations de prix n’ont qu’une raison d’être”, poursuivait Graham : “fournir une occasion d’acheter avec précaution lorsque les prix baissent nettement et de vendre, tout aussi sagement, lorsqu’ils grimpent fortement”.

[…] Paradoxalement, de nombreuses personnes deviennent plus enclines à acheter et à vendre lorsque “Monsieur le Marché” (la Bourse) fixe des prix de façon chaotique. Un spéculateur sera heureux d’acheter  lorsque les cours grimpent, dans l’espoir de pouvoir revendre par la suite à des prix encore plus élevés. Et quand Monsieur le Marché est saisi par la peur, il vendra dans la panique.

“L’investisseur qui s’inquiète indûment en cas de corrections boursières transforme son avantage de base en désavantage”, avertit Graham. “Il serait en bien meilleure posture s’il n’y avait pas alors de prix boursiers car il s’épargnerait l’angoisse occasionnée par les erreurs de jugement des autres”.

La principale raison pour les investisseurs de long terme d’échouer, selon Graham (1972), est “qu’ils accordent trop d’importance aux agissements présents du marché”.

Les investisseurs avisés, insistait-il, n’ont pas besoin d’une intelligence supérieure, d’une formation ou d’une expertise spécifiques. Plutôt, l’intelligence consiste dans des qualités de patience, d’indépendance d’esprit et de self-control. Vous n’avez pas à vous laisser dicter votre conduite par Monsieur le Marché. “Le véritable investisseur n’est quasiment jamais forcé de vendre ses actions et, hormis ces rares circonstances, il est totalement libre de ne pas prêter attention aux cours boursiers du moment”.

Si vous êtes un investisseur plutôt qu’un spéculateur, demandez-vous si vous êtes, selon la terminologie de Graham, “défensif” ou “entreprenant”. Si vous êtes défensif, vous cherchez à éviter des erreurs et des pertes sévères  mais aussi vous ne désirez pas consacrer trop de temps, d’effort et d’émotion à investir. Si vous êtes entreprenant, vous désirez vous engager davantage avec l’ambition de surperformer.

Quel que soit votre profil, vous devriez intégrer, une fois pour toutes, “la probabilité plus encore que la simple possibilité” que les actions perdront au moins 1/3 de leur valeur une fois tous les 5 ans.

Si la baisse de 19% de l’indice boursier américain S&P 500, telle qu’enregistrée entre le 19 février et le 9 mars, vous effraie, alors vous ne pouvez vous qualifier d’investisseur entreprenant. Vous êtes définitivement défensif – peut-être même bien plus que vous ne l’imaginiez. Il est probable que vous ne puissiez facilement supporter une baisse brutale additionnelle, laquelle ne peut être exclue. Vous devriez dans ce cas envisager de réduire votre exposition aux actions à un niveau où vos craintes disparaîtraient.

Mais même si vous êtes défensif, au sens de ne pas accorder trop de temps à l’investissement, parfois il faut prendre certaines mesures. Rien de trop drastique, néanmoins.

Du fait “d’un monde très incertain”, les investisseurs devraient toujours détenir de l’épargne sous forme d’actions ET d’obligations, a-t-il déclaré en 1963. Graham conseillait de détenir un minimum de 25% et un maximum de 75% en actions, et le reste en obligations. Au plus les actions deviennent bon marché (chères), au plus vous pouvez remonter (réduire) leur allocation au sein du portefeuille.

Ce faisant, vous respectez la différence nette entre ce qu’il appelait le “timing” et le “pricing”. Le “timing” est la tentative de deviner ce que le marché est sur le point de faire, une forme de prévision dont Graham pensait qu’elle se terminait toujours en spéculation. Le “pricing” est simplement la constatation selon laquelle les actions deviennent meilleur marché lorsque le marché baisse.

Avoir raison sur le timing est, selon Graham, quasiment impossible. Personne ne peut dire jusqu’où un marché peut baisser. Un changement de pricing est plus clair.

[…] Si vous êtes de la “bonne race d’investisseur”, écrivait-il, vous devriez “tirer satisfaction” du fait de savoir que vous agissez “exactement à l’opposé de la foule”.     

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