Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Lorsque les journalistes financiers se sont penchés sur le bilan boursier de la première décennie du XXIe siècle, ils ont été nombreux à épingler la nette sur-performance des bourses des pays émergents (jeunes et dynamiques) en comparaison de celles des pays développés (se traînant de crise en crise).
En apparence du moins, en voilà une belle évidence, qui plus est, appelée à se perpétuer !
Pourquoi diable, en effet, l’investisseur perdrait-il encore son temps sur les marchés de pays développés alors que l’essentiel de la croissance économique mondiale des prochaines années viendra plus que probablement des pays émergents ? De fait, l’amélioration des politiques économiques et une démographie favorable auront un effet positif sur la productivité des pays émergents tandis que les pays développés seront confrontés à une population vieillissante et à la nécessaire réduction de leurs dettes publiques et privées, ce qui pèsera sur la demande.
Et pourtant … Malgré ce contraste économique, il n’est pas raisonnable de surpondérer les pays émergents dans vos investissements, et encore moins, d’y consacrer toute votre épargne.
Car tout émergents qu’ils soient, ces pays ne disposent pas d’une formule magique pour enrichir les investisseurs.
Explication !
Pour qu’elle soit favorable aux actionnaires, la croissance économique doit résulter de projets (rentables) financés par les bénéfices réinvestis des entreprises. Or, dans les pays émergents, vu les immenses besoins de développement, une bonne part de l’activité provient d’augmentations de capital ou de la création d’entreprises nouvelles. Ce qui ne profite pas aux actionnaires existants. Dès lors, par exemple, une croissance économique ou bénéficiaire de 10% par an peut ne profiter aux actionnaires existants qu’à concurrence de 2 ou 3%. Ce qui constitue, somme toute, l’ordre de grandeur de référence pour l’investisseur et ce qui est loin des rêves chimériques souvent associés aux pays émergents. Pourtant, sur les dix dernières années, les indices boursiers des pays émergents ont bel et bien, comme rappelé en début de chronique, clairement sur-performé les indices des pays développés : plus de 10% de plus en moyenne par an (en dollars) ! Mais l’explication provient moins de la croissance de ces pays que de la faible valorisation de leurs bourses il y a dix ans : on a donc simplement assisté à un effet de rattrapage sur la décennie. Aujourd’hui, le rééquilibrage de valorisation a été en grande partie effectué. Depuis quelques mois, les pays émergents sont d’ailleurs moins fringants, alors que les perspectives d’inflation inquiètent les investisseurs.
Prenons le cas de la Chine. Sur une période de près de 20 ans, malgré la forte croissance économique de ce pays (PIB en croissance annuelle moyenne de 10%), l’investisseur n’y aura pas réalisé un meilleur rendement qu’aux Etats-Unis ou en Europe (l’indice MSCI China donne même un rendement négatif sur cette période : il doit y avoir un souci avec cet indice vu qu’il reste une exception par rapport à tous les autres que j’ai consultés) ! Restez également attentifs à la qualité des mécanismes de protection des investisseurs minoritaires (donc, vous) qui est souvent moindre dans les pays émergents que dans les pays développés : fraudes en tous genres et expropriations forcées sont données courantes dans bon nombre de ces pays. Certes, les bourses des pays émergents méritent une place dans tout portefeuille diversifié (car ils permettent une réduction globale de la volatilité) . Mais, comme le dit le philosophe : rien de trop ! Certainement pas plus de 20% du total de votre portefeuille à consacrer directement à ces pays … N’oubliez pas, de surcroît, que si vous achetez des actions de grandes entreprises occidentales, vous vous exposez également, de façon indirecte, aux pays émergents : la plupart des multinationales réalisent en effet une part non négligeable de leur activité (pouvant parfois se chiffrer à 40% voire 50% du total) dans les pays asiatiques ou latino-américains.