Pivoter pour mieux innover

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

C’est un concept populaire dans le monde des entrepreneurs et créateurs de start-up. Il est associé aux méthodes d’innovation ouverte et Lean Start Up. C’est le pivot.

De quoi s’agit-il ?

Il correspond à un type de changement particulier, emprunté au basketball : pivoter signifie ajuster sa position ou changer de direction tout en gardant un pied sur le sol, comme sur un pivot. Ce terme signifie que l’on doit accepter le changement comme une réalité qui nous oblige à composer avec l’incertain, mais que, lorsque l’on change, il faut garder un pied sur le sol, c’est-à-dire se souvenir et utiliser ce que l’on a appris plutôt que de tout recommencer à zéro.

En pivotant, on change une dimension à son idée, mais pas tout, afin de découvrir de nouvelles perspectives, et de tester de nouvelles solutions. C’est une façon, pour les innovateurs, de tester de nouvelles façons d’exploiter une idée, une vision d’origine, qu’ils ont eu, et qui, jusqu’à présent n’a pas donné de résultats (pas de clients, pas de business model, pas de rentabilité,…). Cela consiste à essayer de nouvelles configurations pour l’entreprise, pour l’offre, pour le modèle.

Un exemple : En 2010, Kevin Systrom et Mike Krieger avec une équipe de neuf collaborateurs et 500 000 dollars de financement, créent Burbn, une application de traitement et partage de photos, qui ne trouve pas son marché. Sept mois plus tard, ils modifient l’application en lui donnant une nouvelle dimension de réseau social ; ils pivotent vers Instagram, élue application de l’année par Apple en 2011.

En fait cette histoire de « pivoter », cela consiste à choisir entre « j’arrête ; mon idée ne marche pas », ou « je continue en changeant quelque chose ». Pour cela il faut au moins avoir appris quelque chose d’utile de nos précédents efforts. Pivoter consiste alors à valider l’apprentissage et à introduire de nouvelles hypothèses. Si on n’a pas de nouvelles hypothèses, un nouvel éclairage, alors il vaut peut-être mieux arrêter que de « pivoter ».

 Ce concept peut s’appliquer à tout projet d’innovation. Car l’innovation, c’est par nature, beaucoup d’échecs et d’idées qui n’aboutissent pas, pour peu de succès. On a parfois tendance à oublier que de nombreuses tentatives d’innovation échouent. Les investisseurs le savent : ils s’attendent à ce que leurs choix échouent neuf fois sur dix, mais le succès du dixième vient rattraper les neuf échecs.

C’est vrai qu’il n’est pas simple de changer comme ça un projet : le risque existe de vouloir changer dès que l’on a un retour moyen d’un client. Ou pire : un « ami », un « expert », une « grande gueule qui a un avis sur tout », vous disent que votre projet, votre idée, votre start-up n’ira nulle part ; vous faites quoi ?

Je trouve dans le livre de Nathan Furr et Jeff Dyer, «  The innovator’s method », quelques conseils pour sortir de ce dilemme. Ils appellent cela « Pivot testing ».

Ils nous proposent trois tests pour apprendre dans l’incertitude, trois logiques : abductive, inductive, déductive. Toutes ces notions nous viennent en fait de la philosophie grecque (les auteurs ne le mentionnent pas néanmoins). Elles sont un bon moyen de mettre à l’épreuve nos idées et théories.

L’abduction (du latin « abductio » : emmener) est un mode de raisonnement qui consiste, lorsque l'on observe un fait dont on connaît une cause possible, à conclure à titre d'hypothèse que le fait est probablement dû à cette cause-ci. La logique abductive, c’est la logique de l’intuition : vous vous faites une idée intuitive du service ou du produit que veut le client, et vous développez le service ou le produit sur cette base, sans tester si le client le voudra ou non. De nombreuses start-up ou entreprises partent comme ça.

La logique inductive consiste à bâtir un service ou produit à partir d’une théorie, plutôt intuitive, fondée sur une approche qualitative (interviews de clients potentiels pour comprendre leurs « problèmes »). En comprenant les problèmes des clients, on imagine les solutions. C’est une opération mentale consistant à généraliser un raisonnement ou une observation à partir de cas singuliers.

La logique déductive consiste à tester une théorie à partir de méthodes quantitatives. L’objet est de prouver par des mesures que la théorie est juste. Par exemple vous pensez qu’une modification sur un site d’e-commerce va permettre d’augmenter les ventes ; vous mettez en ligne un site A sans la modification et un site B avec la modification, et vous comparez les ventes. C’est la méthode qui plait aux ingénieurs.

En fait, ceux qui se trompent le plus souvent sont ceux qui n’utilisent, par goût, ou inconsciemment, qu’une seule de ces méthodes. Les abductifs aiment l’abduction, les intuitifs aiment l’induction.

Ceux qui sont les plus efficaces, qui savent quand et comment pivoter, sont ceux qui passent d’une logique à l’autre : ils commencent par une intuition (logique abductive) , qui va lancer leur projet, leur innovation, leur entreprise. Puis ils vont tester qualitativement cette intuition (interviews, rencontres, observations) dans une logique inductive. Puis ils vont tester leur théorie de manière plus quantitative, ce qui leur permettra peut-être de comprendre ce qui ne marche pas, les erreurs, et donc de corriger, de pivoter, et de faire évoluer le projet différemment.

C’est comme un cycle.

Alors, dans votre projet, à quel palier de ce cycle en êtes-vous ? Sur quelles hypothèses êtes-vous parti (abductif) ? Avez-vous testé qualitativement vos hypothèses (inductif) ? Et quelles démarches quantitatives avez-vous engagées avec vos clients (déductif) ?

Pivoter, c’est relever la tête souvent, ne pas s’obstiner, changer de perspective et de logique sans arrêt.

Une bonne hygiène pour innover.

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