Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
En ce moment, dans les
entreprises, le sujet de l’innovation revient dans les priorités en premier de
la liste.
Normal, avec la crise,
nombreuses ont vu leurs activités décroître, leurs marges se réduisent, et les
perspectives de croissance, de reprise, ne sont pas acquises.
Alors, on se dit que le
lancement de nouvelles idées, de nouveaux business, c’est une des pistes.
La question que l’on peut se
poser est de savoir si mon entreprise, mon organisation, est véritablement
capable de se lancer avec succès dans une croissance nouvelle, en rupture avec
les marchés et produits existants.
Clayton M. Christensen,
auteur référent en matière d’innovation (dans « The innovator’s
solution »), a observé que, dans la moitié des cas, la principale cause
d’échec réside dans le mauvais choix des personnes qui ont été choisies pour
diriger ces initiatives.
Cela paraît bizarre que tant
de dirigeants se trompent ainsi lorsqu’ils doivent choisir à qui confier les
commandes d’un projet aussi important que le lancement d’une nouvelle activité,
d’un nouveau marché, d’un nouveau produit, la conclusion d’une nouvelle
alliance pour un partenariat nouveau, la concrétisation d’une rupture pour un
nouveau relais de croissance.
En fait, la question,
c’est : comment sont recrutés ces managers ?
La principale erreur vient
de ce que les managers sont généralement recrutés sur des critères que l’on
pourrait résumer par « leurs compétences ».
Mais quelles sont ces
compétences qui font que le manager est repéré pour une telle promotion ?
C’est là que l’on fait le plus d’erreurs.
La plupart du temps, ce sont
des critères assez génériques de management : le manager a « des
talents de communication », il a « des réussites dans l’entreprise »,
il sait manager les équipes », « il sait décider », etc.…
Supposons même que ces
critères soient correctement appréciés (ce qui n’est pas toujours sûr, les
process d’évaluation étant de qualités très variables d’une entreprise à
l’autre), reste à vérifier que les critères qui ont fait sa réussite dans la
conduite des activités traditionnelles de l’entreprise constituent une garantie
pour faire quelque chose de complètement nouveau. Souvent, ce n’est justement
pas le cas.
Ainsi, croire que le
Directeur de production qui a eu l’expérience de manager des usines va être
capable d’en construire une toute nouvelle, dans un nouveau pays, pour un
produit qu’il ne connaît pas, c’est pas évident.
Car, imaginons une situation
où l’on cherche à aborder un nouveau relai de croissance dans un terrain
nouveau pour l’entreprise, à quelles questions va-t-on se trouver
confronter ?
–
Nous ne sommes pas sûrs
de notre stratégie, nous allons avoir à l’imaginer, à développer un consensus
entre nous (l’équipe de développement) pour pouvoir construire un business
autour,
–
Nous ne savons pas trop
comment segmenter le marché ; nous allons devoir imaginer les besoins des
clients ;
–
Nous allons avoir
besoin d’imaginer et de créer des réseaux de distribution, qui ne seront
peut-être pas les mêmes que pour nos marchés actuels (par exemple si l’on veut
passer d’un marché pour entreprises à un marché grand public),
En fait, il paraît plus
évident de rechercher ceux qui apportent des capacités à affronter
l’incertitude, la nouveauté, le risque. Et non ceux qui ont sagement gravi les
échelons hiérarchiques de l’entreprise, en passant d’une fonction
traditionnelle à une autre.
Ce que suggère Christensen,
c’est de considérer le parcours des managers, non pas en fonction de leurs
compétences et responsabilités formelles, mais en observant leurs expériences
passées comme des cours d’une école : quelles expériences de
l’échec ? Quelles expériences d’un nouveau marché ? d’une tentative
qui a échoué ? Pas besoin qu’il ait réussi, ou qu’il ait été le chef de
ces expériences ; non, il a juste eu la possibilité d’y être, comme
d’assister à un cours à l’école.
C’est donc en identifiant
ces expériences utiles pour les projets d’innovation que l’on veut lancer que
l’on identifie les managers ayant eu ces expériences et donc les bonnes
personnes pour être leaders de ces projets.
Mais voilà, une question
supplémentaire se pose : comment faire pour disposer en interne d’un tel
vivier de compétences qui sont justement nécessaires pour le futur, mais qui
n’ont pas forcément été considérées comme les compétences phares des activités
traditionnelles du passé ?
Souvent, quand une
organisation se retrouve en panne d’innovation et de nouvelles idées, c’est
précisément pour avoir manqué de développer ces compétences. C’est comme si
« l’école de l’entreprise », au travers de ses diverses expériences,
n’avait dispensé qu’un programme
unique, le même pour tous, avec les mêmes critères de sélection, un mimétisme
entre les managers ; bref, l’uniformité.
Les managers qui sont les
plus mauvais pour porter l’innovation sont précisément ceux qui ont été
particulièrement habiles pour performer dans les critères de performance de
l’entreprise, ces indicateurs fortement basés sur les les résultats, financiers
surtout. Ce sont les bons managers qui ont porté les performances du passé, qui
ont su activer la croissance avec les clients et les produits et services
d’hier, qui sont les plus démunis pour porter la nouvelle génération de la
nouvelle croissance, des nouvelles idées. Ce sont tous ces bons élèves de
l’entreprise en perte de vitesse qui, s’ils prennent malencontreusement les
commandes des nouveaux projets, vont précipiter sa chute.
C’est pourquoi l’entreprise
qui veut garder et développer un esprit d’innovation, et réussir ses projets
d’innovation, doit trouver un bon équilibre entre les managers bons élèves de
l’existant, car, tant que les innovations ne portent pas assez de business, on
a besoin d’eux), et les managers à qui l’on donne de nombreuses opportunités
d’apprendre ces nouvelles compétences qui feront d’eux les collaborateurs à
haut potentiel capables de porter les projets de rupture.
Et puis, c’est aussi une
question de continuité : l’entreprise qui lance régulièrement des
initiatives, qu’elles réussissent ou non, se constitue un formidable vivier de
managers qui apprennent à nager à contre-courant, qui s’enthousiasment de
l’incertitude. Inversement, quand l’entreprise décide, tout d’un coup, de se
lancer dans un projet de relance de l’innovation, elle va avoir plus d’inerties
à combattre pour aboutir à un fonctionnement fluide et une bonne interaction
des managers entre eux. Cela ne viendra pas tout seul ; peut-être
faudra-t-il externaliser certains modules ou responsabilités.
C’est néanmoins la capacité
de disposer de ce vivier d’originalités et d’expériences complètement variées,
que l’on aura sciemment provoquées, qui fera la différence.
Cette diversité, ces
initiatives à tous les niveaux de l’entreprise, pour l’obtenir, l’entreprise
doit s’assurer qu’elle a bien mis en place les « bonnes écoles »,
celles où tous les collaborateurs vont apprendre et exercer de nouveaux
talents.
Ces « écoles », on
l’a compris, ne sont pas des salles de classe, mais des expériences précises,
sur le terrain, des décisions auxquelles on a participé, des projets variés
dans lesquels on a été impliqués.
Ce sont ces écoles »
que nous devons construire et ouvrir aux collaborateurs pour rendre nos
entreprises innovantes. Et nous devons toujours vérifier que ces
« écoles » sont bien ouvertes et disponibles pour les expériences de
nos managers.
C’est plus compliqué, bien
sûr, que d’envoyer les managers dans des salles de classe.