Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Je me suis souvenu cette semaine de ce qu’avait dit, à l’université au début des années 90, notre professeur de finance : “La science financière est encore jeune mais s’il y a une chose qui ne sera jamais remise en question, c’est bien la relation positive entre le risque et le rendement”.
Traduction : pour espérer plus de rendement, il s’agit de prendre plus de risque.
Cette assertion, un rien péremptoire (mais qui serait sans doute reprise à son compte par celui qui l’a remplacé à son poste), m’est revenue à la mémoire à l’occasion de la publication d’un graphique assez sidérant.
Que montre ce graphique ? Eh bien, il nous dit que sur les 20 dernières années, un fonds investi en obligations américaines de longue durée et un fonds copiant l’indice actions S&P500 (500 premières capitalisations américaines) ont rapporté exactement la même chose, à savoir 225%. Ce qui revient à 6,1% par an. Or, sur cette même période, les obligations, conformément à leur comportement historique, se sont avérées bien moins volatiles (risquées) que les actions (volatilité de 10,6% pour les obligations versus 16,3% pour les actions).
Voilà donc un exemple significatif (car sur 20 ans) qui vient contrecarrer l’existence de cette fameuse relation positive entre le risque et le rendement. Moins risquées que les actions, les obligations ont rapporté la même chose.
Est-ce une anomalie ? Oui, certainement. Car, historiquement toujours, les actions “battent” régulièrement les obligations. Comment dès lors expliquer ce graphique ? Il y a peut-être à creuser du côté de l’assouplissement quantitatif décidé par la Réserve Fédérale (Banque Centrale US), à la suite de la crise financière de 2008, qui aurait provoqué une bulle obligataire. A l’été 2017, Alan Greenspan, un ancien président de la Fed, avait mis en garde contre une telle bulle, arguant du fait que les taux d’intérêt à long terme étaient anormalement bas et ne pouvaient dès lors que remonter. ce qui entraînerait une baisse de notre fond obligataire.
Cela reste aujourd’hui un scénario vraisemblable alors que les taux d’intérêt à court terme, quoique toujours bas, sont orientés à la hausse.
Lorsqu’il s’agit des grandes classes d’actifs financiers (actions, obligations, cash), ne remettons donc pas en cause définitivement la relation risque/rendement : les actions, plus risquées, sont toujours censées rapporter plus que les obligations qui, elles-mêmes, rapportent plus qu’un fonds monétaire.
L’orthodoxie de la finance académique sort donc grande gagnante ?
Pas tout à fait. car Il en va autrement des actions individuelles : sur longue période, les actions les moins risquées rapportent plus que les actions plus risquées.
Ainsi, à Wall Street toujours (terrain de jeu préféré des chercheurs en finance), de 1929 à 2015, parmi les 1000 plus grandes valeurs de la cote, les 100 actions les moins volatiles (recalibrées chaque trimestre) ont dégagé un rendement annuel moyen de 10,2% (en USD) contre 6,4% pour les 100 les plus volatiles. De tels écarts de performance ont été également enregistrés ailleurs, en Europe, au Japon ou dans les pays émergents.
A l’origine du phénomène, ce sont moins les vertus particulières des actions peu volatiles qui doivent être soulignées que les tares caractérisant les actions très volatiles. Ces dernières représentent en effet souvent des entreprises fragiles, celles qui éprouvent des difficultés à dégager des bénéfices réguliers ou qui ne peuvent pas en espérer avant longtemps, voire qui sont à risque de faillite, notamment lorsqu’elles sont trop lourdement endettées. Il n’est évidemment pas rare que de telles actions, après une période de nervosité en Bourse, voient leurs cours s’étioler progressivement ou s’effondrer brutalement. Si une entreprise mal en point ou ayant peu de chance d’être une success story s’en sort à son avantage, elle peut certes voir le cours de son action s’apprécier spectaculairement. Mais ce n’est bien entendu pas la majorité des cas.
Conscients de cette réalité, les investisseurs devraient l’intégrer dans les cours des actions, poussant à la hausse les actions peu risquées et pénalisant les actions plus risquées. Ce qui rétablirait, une fois le risque pris en compte, une équivalence entre les rendements attendus moyens des deux catégories d’actions. Mais, paradoxalement, les investisseurs aiment risquer gros, contre leur propre intérêt : un espoir de rendement (très) important bien que (très) improbable est tentant. C’est l’effet dit du “ticket de loterie”. Notons que les gérants de fonds, souvent évalués sur de courtes périodes de temps (trimestre ou semestre), ne sont pas à l’abri de ce biais. Pour tenter de se distinguer de la concurrence et de leurs indices de référence, ils peuvent être amenés à choisir des actions volatiles, ce qui pousse, là encore, trop à la hausse les cours des actions risquées, réduisant ainsi leurs rendements ultérieurs.
Gardons raison. Il n’est pas ici question de dire que les actions peu volatiles sont à l’abri de tout revers, même considérées collectivement. Ainsi, au plus fort de la grande crise de 2008/09 (soit de juillet 2008 à février 2009), les actions faiblement volatiles, au niveau mondial, ont perdu 33% (en USD). C’est significatif mais, dans le même temps, les actions mondiales se repliaient de 45%. Par contre, durant le krach Internet, au tournant du millénaire, et durant la crise des dettes publiques européennes (à cheval entre 2010 et 2011), les actions peu volatiles, toujours au niveau mondial, sont restées en territoire positif.
Et aujourd’hui ? Toujours miser sur les actions les moins volatiles ? Je vous engagerais plutôt à la prudence dans la conjecture actuelle. La crise de 2008/09 a été un véritable traumatisme pour les investisseurs : ces dernières années, ils ont dès lors privilégié, contre leurs habitudes classiques, les actions moins risquées. Ce qui réduit actuellement les opportunités au sein de cette catégorie. A l’inverse, les actions les plus risquées d’entreprises parfois significativement endettées sont plutôt délaissées, à un moment où certains agitent à nouveau des risques de récession mondiale, plus ou moins grave. Si ce scénario noir est évité, il est bien possible que, pour l’amateur d’actions individuelles, le risque paie à nouveau ces prochains mois, voire ces prochaines années. Consultez et cherchez d’autres sources et faites-vous votre propre jugement : il n’y a que lui qui vaille !