Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Les mouvements qui annoncent
des mutations profondes de l’environnement socio-économique de nos entreprises
sont nombreux.
On sent combien, avec la
montée en puissance des pays d'Asie,
l’Occident est en train de passer à la périphérie du Monde. Et nous n’en
percevons peut-être pas encore toutes les conséquences. Mais regardons par
exemple Copenhague ; finalement ce sont la Chine et les Etats-Unis qui ont
fait le jeu, l’Europe, malgré les coups de menton de la France, faisait la figuration.
L’innovation s’accélère et devant
les réactions suscitées, du rejet à l’enthousiasme, innover est devenu un acte
politique dont l’entreprise doit rendre compte, non plus seulement sur des
critères économiques, mais aussi sociétaux.
La prise de conscience que
les ressources ne sont pas inépuisables met aussi les entreprises en situation
de devoir justifier leurs décisions et comportements devant la société civile.
De fait, l’entreprise, plus
que jamais, est devenue un acteur politique ; ses actes et comportements
vont au-delà, qu’elle le veuille ou non, de la poursuite du profit et de la
satisfaction des actionnaires en délivrant le cash nécessaire à la rémunération
du capital investi.
Et le management des
entreprises, il est modifié par ces mouvements ? Il devrait, non ?
C’est pour faire le faire
comprendre que j’ai lancé, avec PMP, un cycle de rencontres privées sur le
thème de « l’innovation managériale ».
C’était la première la
semaine dernière, et nous recevions un dirigeant de Google.
On ne pouvait mieux tomber
pour dialoguer avec une entreprise qui bouscule les règles du management, qui
ne fait rien comme tout le monde ; elle agace certains, hypnotise
d’autres ; elle ne laisse pas indifférent.
Nous avons bien compris que
l’initiative individuelle, la prise de risques, faisaient parties du modèle.
Ainsi, 20% du temps de travail des collaborateurs est dédié à des recherches
personnelles. L’ingénieur est libre des thèmes qu’il choisit, mais ils sont
presque toujours en rapport avec l’activité principale de l’entreprise. Il
paraît que 50% des projets et idées nouveaux viennent de l’utilisation de ces
20%.
Autre caractéristique qui
fait rêver : le bien-être au travail, la cantine gratuite, les boissons et
friandises à volonté, le vendredi festif où l’on ouvre le champagne en France
(et d’autres boissons ailleurs selon les cultures et les pays).
Les projets sont conduits
systématiquement par des petites équipes de 3 ou 4 personnes ; ce qui
conduit à découper les projets en sous-projets simples ; parfois cela crée
des doublons et compétitions entre les projets. Ce qui permet à Google de
multiplier les projets et les innovations à toute vitesse, en menant de front
des centaines de projets avec quelques milliers d’ingénieurs.
Alors, face à cet
encouragement à l’initiative individuelle, quelqu’un a posé la question
politique : mais alors, qu’est ce qui fait société chez Google ?
Faire société, c’est ce qui
nous fait être ensemble, nous sentir dans la même communauté ? Cette
question, les Etats et gouvernements se la posent, les communautés, les partis,
les mouvements associatifs, se la posent.
Pourquoi pas les
entreprises.
Si l’on reprend les théories
politiques pour comprendre ce qui fait société, on pense à quelques réponses
classiques :
–
Le bien commun, quelque
chose d’évident que l’on cherche ensemble, naturellement ; ce sont les
théories du monde antique grec; c’est la définition du citoyen ;
–
Une croyance
commune : c’est ce qui a imprégné le Moyen-âge chrétien ; les membres
de la société se reconnaissent car ils partagent une même vision de la vie
bonne. (à l’époque, c’était la religion chrétienne) ;
–
Les conflits, les luttes, l’opposition entre
les classes ; et en même temps l’usage efficace de la force ou du pouvoir
pour contrôler le tout, grâce à la virtuosité du Prince et des
gouvernants ; c’est la réponse de Machiavel au début du 16ème
siècle ;
–
La souveraineté et
l’Autorité à laquelle on se remet, pour pacifier les relations entre les hommes
par la force d’une autorité suprême que l’on respecte tous, pour empêcher les
guerres civiles entre nous ; c’est le Léviathan de Hobbes ; cette
puissance suprême qui nous donne des lois communes, et à laquelle on accepte
d’obéir, et qui nous convainc qu’il est bon d’obéir à l’Etat. Cela peut parfois
déraper vers le totalitarisme dans sa version sombre, et vers la société juste
dans sa version optimiste ;
Alors, dans notre
entreprise, qu’est-ce qui fait société ?
Réponse de Google ?
Ce n’est pas la
religion ; Google n’est pas une secte, contrairement à ce que colportent
parfois les critiques méchantes ; on y tolère au contraire une grande
diversité des opinions, des cultures, des religions.
Mais Google n’est pas non
plus une bande de joyeux fêtards qui peuvent faire n’importe quoi.
Et l’on a parlé du Léviathan.
Google a un système d’autorité qui n’a pas besoin d’être outrancièrement
formalisé ; c’est juste que, à chaque poste, pour chaque responsabilité,
il faut être parfait. Et c’est pour cela que l’autorité est respectée par
chacun ; ce ne sont pas les barrières hiérarchiques qui protègent les
dirigeants, mais leurs qualités, le respect qu’ils imposent naturellement.
Et c’est parce qu’il y a
cette autorité respectée, qui n’a pas besoin d’être expliquée, qui est
naturelle, que l’on peut, à l’intérieur de cette entreprise vivre en société,
s’y amuser, y vivre bien, s’entraider, inventer
un nouveau monde, celui dans lequel la mission de Google est « d’organiser
les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles à
tous ».
Cette autorité incarnée qui
est respectée, et qui, parce qu’elle existe, permet d’être libre et de faire
société ensemble, c’était une belle leçon de management, plutôt paradoxale
quand on évoque Google ;
Mais qui nous a parlé à
tous.
Nota : si vous voulez être tenus au courant et invités lors des prochaines rencontres de ce cycle de l’innovation managériale, faites-moi signe.
