Présentez vous ainsi que votre entreprise.
Je m’appelle Raphael Beziz, j’ai 29 ans et je vis à Paris. Je suis diplômé de l’Ecole Centrale et de Columbia University (New York) où j’ai fait un Master de Recherche Opérationnelle, puis j’ai débuté ma carrière en finance de marché chez Merril Lynch en tant que « Quant ». Je concevais alors les modèles mathématiques utilisés par les traders pour « pricer » les produits exotiques dérivés d’action. Bref, à l’époque, ce qui m’intéressait avant tout, c’était le challenge intellectuel et le côté excitant d’un monde où tout bouge très vite.
Mais tout ceci m’a rapidement lassé et mon esprit entrepreneurial m’a rattrapé (par chance quelques mois avant la fameuse crise financière)… J’ai alors décidé de rentrer en France pour monter une boite. L’idée consistait à vendre un produit d’assurance pour assurer les acquéreurs contre la baisse du prix de l’immobilier. Je me suis vite rendu compte qu’il ne suffisait pas d’avoir une bonne idée pour que ca marche : j’étais alors seul, avec une connaissance trop limitée du marché de l’immobilier, pas prêt à affronter toutes les difficultés qui se présentaient.
Alors j’ai mis mes projets entrepreneuriaux de côté et j’ai décidé de faire mes premières armes dans le conseil. J’ai donc rejoint un cabinet jeune, dynamique et entrepreneurial : le cabinet PMP. J’y ai bossé pendant 5 ans pour des grands comptes et des acteurs publics, sur des projets passionnants et avec des gens passionnants. Mais on n’enterre jamais ses vieux démons !
Le point de départ de Youmeo.
Ayant acquis une bonne connaissance du métier de conseil, tout est parti d’un constat assez simple : le mode de fonctionnement et la structure de coût des cabinets de conseil traditionnels ne permettent pas d’adresser de manière satisfaisante les besoins des TPE/PME. En effet, recruter des consultants de bon niveau, couvrir les coûts fixes d’un bureau prestigieux, démarcher des entreprises, préparer des propositions commerciales sur-mesure,… tout ceci coûte très cher, et cela se répercute dans le fameux TJM (le taux journalier moyen) !
Du coup, pas rentable pour les meilleurs cabinets d’aller démarcher les plus petites entreprises, qui pourtant auraient bien besoin d’accompagnement. Surtout que les dirigeants de PME, submergés par leur quotidien, peinent à dégager le temps nécessaire pour répondre aux véritables défis business de leur entreprise. Leur seul recours est alors de solliciter leur réseau personnel puis d’élargir par rebond aux contacts de niveau 2 ,3… Mais cela prend du temps et ne garantit pas d’identifier les meilleures idées et les meilleurs prestataires à moindre coût.
Alors l’idée de YouMeO est progressivement née, à force de discussions et de brainstorming. Pourquoi ne pas s’appuyer sur l’intelligence collective d’une communauté diversifiée composée d’experts sectoriels et métiers, de freelances, d’ex-dirigeants, de professeurs, de chercheurs, d’entrepreneurs, d’étudiants et d’artistes, qui travailleraient ensemble pour résoudre les challenges des dirigeants d’entreprise ? En plus, avec un tel système ouvert et collaboratif, on pourrait proposer de faire MIEUX, PLUS VITE et MOINS CHER que les cabinets de conseil.
L’élément déclencheur qui m’a motivé à passer à l’acte a été le soutien de mon employeur, le cabinet PMP, qui est maintenant associé au projet.
La création de votre société fut-elle plus dure que prévu ?
Les premiers mois sont très excitants : on brainstorme, on imagine l’offre marketing, le pricing, le business model, on fait un beau business plan qui fait rêver, on invente un nom, on en parle autour de soi et on reçoit les félicitations de son entourage pour cette prise de risque courageuse !
Puis passée l’excitation des premiers instants, ca se complique et on se rend compte de l’ampleur de la tâche : l’offre qu’on avait imaginée ne répond pas nécessairement à un besoin suffisamment concret pour susciter l’acte d’achat, les volumes nécessaires pour que le business model devienne viable et pérenne ne sont pas aussi facile à atteindre que ce qu’on avait mis dans le beau business plan, on se rend compte qu’il y a déjà plein de concurrents (sinon c’est que l’idée n’est pas bonne de toute façon) et qu’il est difficile de clairement se différencier, on peine à s’entourer des bonnes personnes, la presse (online ou offline) ne se précipite pas pour communiquer autour du projet…
Bref, tout n’est pas aussi simple qu’on ne l’avait imaginait, mais bien sûr cela vaut le coup de s’accrocher et de ne pas baisser les bras ! Avec YouMeO, on a déjà changé plusieurs fois d’offres et de business model : on est passé d’un modèle « pay-as-you-wish » à un modèle d’apporteurs d’affaires pour la communauté des contributeurs YouMeO. Mais on réfléchir déjà à changer à nouveau pour un modèle d’abonnement. Il faut sans cesse rester à l’écoute des retours clients et en tirer les bons enseignements. Mais ce n’est jamais évident de se remettre en question. A chaque « pivot », on a le sentiment de repartir de zéro, surtout qu’on prend vite conscience que la création d’entreprise est une course contre la montre : on évolue dans un univers aux ressources limitées (temps, finance, humaines,…) et on sait ce qui arrive lorsqu’on a épuisé toutes les ressources !
Le plus important dans les moments de doute, c’est alors de puiser dans sa motivation initiale et de repenser aux premiers accomplissements : l’ambition de changer les choses, la volonté d’aider les autres, les retours positifs des premiers clients, la cohésion de l’équipe,…
A refaire, concernant votre entreprise, vous referiez quoi ?
Ce qui m’aurait probablement fait gagner beaucoup de temps, ca aurait été de faire un portrait-robot très précis de ma cible d’early adopters puis ensuite d’aller contacter dans le dur quelques personnes dans la cible pour tester l’idée auprès d’eux. Au départ, on a l’illusion que notre produit ou service répond aux besoins de tout le monde et qu’on pourra capter dès le départ une cible très large grâce aux réseaux sociaux, aux relations presse,… Mais dans les faits, seul un message marketing bien ciblé et des efforts de prospection bien dosés permettent de décoller, quitte ensuite à élargir sa clientèle.
Cet exercice a plein de mérites, notamment : celui de pouvoir réajuster rapidement si on se rend compte que la cible prévue n’adhère pas suffisamment à l’idée, celui de bien rôder son discours commercial et celui de se projeter dès le départ dans les difficultés qu’on rencontrera pour faire connaître son offre.
Pour vous, un utilisateur Youmeo est un utilisateur…
… qui n’a pas peur d’explorer de nouvelles pistes « en dehors du cadre » pour donner une forte impulsion à son entreprise.
Votre meilleur souvenir d'entrepreneur.
Mes premiers clients ! Quand on a une plateforme en ligne, il n’y a en effet rien de plus excitant que de voir les premiers utilisateurs s’inscrire sur le site.
On vient aussi de remporter le concours de la start-up du mois sur le site bonjouridee. Et on a été élu il y a quelques temps start-up de la semaine sur Maddyness. Cela matérialise un peu tous nos efforts. J’imagine que c’est un peu comme lorsque l’on fait du jardinage et qu’on voir les premiers fruits apparaître après avoir bêché, semé, arrosé, biné…
"LE" conseil à donner à un futur entrepreneur.
J’aurais instinctivement envie de parler de persévérance, quitte à tomber dans le cliché. Mais à la réflexion, il y a autre chose dont on parle moins et qui me parait tout aussi important : c’est le fait d’être clair dès le départ sur ses motivations et sur les moyens qu’on est prêt à y consacrer (en termes de temps et de ressources allouées au projet, d’empiètement sur sa vie privée,…).
Cela permet de définir un territoire d’expérimentation et de s’y tenir. Ce territoire doit être vu comme un cadeau qu’on se fait à soi-même : je m’offre tant de temps, tant de ressources pour tenter cette aventure. Si ca ne marche pas, j’aurais la satisfaction d’avoir essayé et d’avoir appris, j’en sortirais grandi. Et je sais que je suis prêt à consacrer telles ressources pour me donner les chances d’y arriver, ni plus ni moins !
L'entreprise existante que vous auriez aimé créer ?
Linked-in ! Contrairement à Facebook ou Twitter, je crois que l’avenir de ce réseau est devant lui : les données collectées par utilisateur sont très nombreuses, les possibilités d’exploitation de ces données sont innombrables, le facteur « effet de mode » est beaucoup moins fort et tout reste à faire en termes de développement d’applications par la communauté des développeurs !
L'entreprise de vos rêves ferait quoi ?
On parle beaucoup de collaboratif en ce moment, que ce soit l’hébergement avec airbnb, le co-voiturage avec blablacar, la location d’objets avec eloue, la préparation de repas avec cookening, l’échange de devises avec weeleo, l’achat de prestations intellectuelles avec youmeo…
Mais cette première génération de plateformes collaboratives se fonde sur la commercialisation d’un service marchand entre particuliers ou professionnels. Une véritable révolution pourra arriver lorsque le collaboratif aura gagné suffisamment de parts de marché dans tous les domaines de notre vie quotidienne pour imaginer un nouveau système de valeur ne reposant pas sur la monnaie mais sur l’entraide.
Plus on aidera son prochain, plus on gagnera en notoriété et plus on pourra accéder aux services des autres. Cela pourrait constituer les bases d’un nouvel ordre économique mondial plus vertueux dans lequel l’entraide redeviendrait le moteur de nos sociétés et dans lequel il faudrait donner pour recevoir. Ce serait en tout cas une belle perspective et je dirais que l’entreprise ou l’organisation qui arriverait à inventer la monnaie de l’entraide me ferait rêver !
"L'idée" entrepreneuriale du siècle ?
Je pense que la banque sera le prochain secteur qui sera bouleversé par les nouvelles technologies, le collaboratif, la mobilité. On voit naître comme des champignons des projets de financement participatif et il n’en faut pas beaucoup pour que les banques soient totalement désintermédiées.
Et pour le siècle prochain, un rêve fou : une démocratie collaborative dans laquelle l’Etat lui-même serait désintermédié !
Un modèle d'entrepreneur ?
Je ne suis pas fan des « gourous ». Je pense qu’on a tous modestement beaucoup à apprendre des « petits » chefs d’entreprise (artisans, commerçants, restaurateurs,…) qui ne font pas l’actualité de l’entrepreneuriat mais qui savent créer des business rentables et pérennes avec des ressources souvent très limitées. Ils ne connaissent peut-être pas l’expression « lean start-up » mais ils savent l’appliquer au quotidien depuis longtemps !
Microsoft, Apple ou Google ?
Google bien sûr pour sa capacité à défendre son cœur de métier par une multitudes d’activités annexes.
Mais en la matière, n’oublions pas que la petite entreprise auvergnate, Michelin, a été pionnière : pour inciter les gens à utiliser leurs voitures (et donc acheter leurs pneus), ils ont créé le guide rouge pour aider les voyageurs dans leurs déplacements (renseignements pratiques, hôtels, restaurants). Puis le guide régional touristique (le guide vert). Ils ont même été jusqu’à poser des bornes kilométriques et des plaques sur toutes les routes de France !!!
Un petit portefeuille boursier ?
Pour l’instant, je me consacre à ma propre entreprise mais, si je devais choisir, je prendrais des participations dans des fonds investissant dans les énergies renouvelables et les matières premières.
"L'envie d'entreprendre", de tout jeune ?
Oui comme tout le monde je crois car tous les enfants sont des entrepreneurs dans l’âme ! Je me souviens que j’achetais un petit stock de bonbons avec mon argent de poche chez l’épicier du coin et que je les revendais le soir-même 2 fois plus chers à mes parents qui jouaient gentiment le jeu…J
Le mot de la fin.
Les plus grands accomplissements en ce monde ont certainement été le fruit de la passion d’un ou de plusieurs hommes. Alors si votre travail ne vous passionne pas véritablement et que vous rêvez de réaliser de grands accomplissements, c’est peut-être le signe que vous devriez songer à entreprendre…
EE – Mai 2014
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