Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
En 2004, avec le concours d’un collègue analyste financier, Pierre Samain, nous avions rédigé et publié un guide boursier modestement intitulé « Investir en Bourse : Pour une stratégie gagnante à la portée de tous ». Vous pouvez retrouver la double chronique consacrée à cette aventure dans les archives de ce site (janvier 2007).
Combinant la construction d’une approche fondamentale et des cas pratiques, nous avions donné, à titre d’exemples, deux conseils sur des actions susceptibles de s’avérer, selon nous, des choix gagnants à terme. Il s’agissait de deux actions assez peu connues et de relativement faible capitalisation : l'allemande Vossloh et l'américaine Aptar (à l'époque, Vossloh : 560 millions EUR de capitalisation et Aptar : 1,5 millard USD).
Lorsque nous jetons aujourd’hui un coup d’œil dans le rétroviseur pour évaluer la performance de ces deux conseils, la (bonne) surprise est au rendez-vous : alors que sur la période considérée (de mai 2004 à février 2011), les bourses américaines et européennes ont été pour le moins décevantes (un gain annuel moyen de moins de 3% pour le S&P 500 américain et rien pour le STOXX 50 européen), nos deux actions sortent avantageusement du lot : le cours de l’action Vossloh est passé de 38,4 EUR à 94,7 EUR (soit + 147% correspondant à un rendement annuel moyen de quelque 13% avant dividende) et celui de l’action Aptar a progressé de 20,4 USD à 49,5 USD (soit +142% correspondant également à un rendement annuel moyen de quelque 13% avant dividende et hors variation du dollar).
Alors, pourquoi ?
Bien sûr, ce peut être un effet du hasard : après tout, il ne s'agit que de deux actions. Et on ne peut tirer de conclusions robustes sur la base d'un si petit échantillon.
C'est vrai.
Néanmoins, à y regarder de plus près (et tout en essayant de garder une certaine objectivité), cette hypothèse du hasard semble être assez fragile. D'abord, nous avons suivi un raisonnement basé à la fois sur notre expérience d'analystes et sur la littérature. En particulier, les travaux empiriques de Fama & French (1992) constituaient notre point de départ : deux catégories d'actions semblent procurer de plus hauts rendements que la moyenne de la Bourse : les petites capitalisations et les actions caractérisées par un faible ratio Cours/Valeur comptable des fonds propres. Ensuite, nous avons appliqué un screening à la fois qualitatif et quantitatif destiné à préserver l'investisseur de toute prise de risque potentiellement dangereuse dans un contexte de choix d’actions individuelles : c’est ici qu’intervient un double système de cartons rouges (endettement, ennuis judiciaires, acquisitions, …) et d'exigences minimales (stratégie, finances, respect des actionnaires).
Or, il est possible que, sans que nous en fussions pleinement conscients à l'époque, cette stratégie (une combinaison de petite capitalisation, faible P/BV et faible risque) apporte précisément les meilleurs résultats. A l'origine de ce phénomène, outre l'apport des deux critères de F&F, on trouve ce qui semble s'imposer de plus en plus comme une vérité empirique : contrairement à ce qui est aujourd'hui encore largement enseigné dans les écoles, il n'y a pas de relation positive entre le risque et le rendement en matière d'actions. Mieux même, les actions les plus risquées (risque de marché et risque spécifique) donnent des rendements particulièrement faibles. Les travaux, par exemple, de Ang/Hodrick/Xing/Zhang (2005) et de Falkenstein (2009) vont dans ce sens. Point important : ce ne serait pas un effet lié à la conjoncture des marchés ces dernières années (d’ailleurs de mai 2004 à mars 2007, soit en période boursière haussière et avant les turbulences que vous connaissez, nos deux actions procuraient un rendement annuel moyen de 20%, soit le double du marché). Cela tiendrait davantage à la psychologie des investisseurs, ce qui est plus stable. Les investisseurs ont en effet tendance à surpayer pour le risque ("pay for hope" – syndrôme du loto), ce qui entraîne que le risque ne paie en moyenne pas en retour. En évitant les actions risquées, l'investisseur a donc plus de chances de surperformer le marché. D’ailleurs, de plus en plus de praticiens, y compris dans des institutions renommées (Robeco, la Deustche Bank, notamment), ne jurent plus que par ce qu’ils appellent les stratégies d’investissement à basse volatilité.
Quid de l'ampleur absolue de notre performance ?
En exigeant que soient remplis simultanément 3 critères indépendants (petite taille, faible valorisation et faible risque) (on aurait sans doute pu y ajouter un quatrième, à savoir le momentum), nous avons sans doute optimisé nos chances de trouver de "bonnes" actions procurant des rendements significatifs sans prise de risque excessive. Une telle stratégie ne marche évidemment pas automatiquement. Donc, nous aurions pu, sur l’un ou l’autre cas, nous tromper. Car cela reste malgré tout une logique de construction de portefeuille à long terme.
Ce n’est évidemment pas la fin de l’histoire. Il reste à prouver que ce qui est dit ici peut se confirmer sur une plus large population d’actions. Et il y a toujours moyen de faire mieux. La preuve ? Une action que nous avions également analysée dans le cadre de notre guide mais que nous avions rejetée pour insuffisance de qualité (elle avait passé les épreuves de la valorisation et des cartons rouges mais pas celle de l’analyse plus générale), à savoir la britannique Croda, a progressé, quant à elle sur la période 2004-2011 de … 453%, soit quelque 27% par an ! A nouveau, un effet du hasard, une mauvaise application de nos critères ou … quelque chose d’autre ?