Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Amis investisseurs, je sais que cela vous est déjà arrivé. Dans un repas en famille ou entre amis, la conversation dévie, à un moment ou à un autre, inévitablement, sur la situation économique. Et, bien entendu, l’oncle Alfred ou le gros Dédé ne manquent pas de faire remarquer que les entreprises, en ces temps difficiles, « ne jouent pas le jeu ». N’ont-elles pas continué à distribuer des dividendes (et même de plus en plus) depuis le début de la crise alors qu’elles réduisaient leurs investissements ? Le gouvernemental Benoît Hamon a même récemment déclaré que si la rentabilité des entreprises françaises était si faible, c’est parce qu’elles versaient trop de dividendes. Ce qui dénote l’inculture économique du Ministre puisqu’un dividende n’est payé qu’après détermination des résultats et qui si l’entreprise en a les moyens. Et un peu partout, les syndicats pointent des aides étatiques accordées aux entreprises sans contrepartie en matière d’emplois ou d’investissement.
Par ce genre de discours, et surtout en cette période de paiement des dividendes, les actionnaires sont culpabilisés : ils s’enrichiraient ainsi sur le dos du reste de la société.
Cette analyse est trop simpliste, au moins pour deux raisons.
Primo, rappelons que les entreprises se financent soit par des fonds propres (actions) soit par de la dette. Les fonds propres ont cette particularité d’être une source de financement plus stable que la dette qui, elle, outre les charges d’intérêts qu’elle occasionne (mais qu’elle peut déduire de sa base imposable, c’est vrai, au contraire des dividendes), doit être remboursée. Et si une entreprise ne peut faire face à ses dettes, elle tombe en faillite. Les mouches ne s’attirant pas avec du vinaigre, les actionnaires apprécient, en plus de la perspective (aléatoire) d’une plus-value (hausse du cours de l’action), un rendement plus régulier (actuellement aux alentours de 3% brut en moyenne en Europe) sous la forme de dividendes. C’est l’ensemble de l’évolution du cours de l’action et du dividende qui constitue, in fine, la rémunération de l’actionnaire. Sur les 7 dernières années (point de départ avant la crise financière donc), un investisseur à la tête d’un portefeuille de « blue chips » européennes (Stoxx Europe 50) n’a strictement rien gagné malgré les dividendes perçus.
Secundo, le lien de causalité entre des dividendes en hausse et des investissement en baisse n’est peut-être pas celui qu’on croit. Les entreprises ne se privent pas d’investir parce qu’elles rendent de l’argent à leurs actionnaires. Au contraire : la distribution de dividendes en hausse sanctionne plutôt la rareté de bons projets d’investissement. Si elle est parvenue à maturité ou si les perspectives de son activité sont médiocres, une entreprise fera en fait œuvre utile en distribuant des dividendes. Car cet argent n’est pas perdu, une fois dans la poche de l’actionnaire : soit il le dépense, ce qui soutient la consommation, soit il l’épargne, ce qui peut alimenter l’investissement pour d’autres entreprises. Et n’oublions pas que l’Etat y trouve aussi son compte, puisque le dividende est un revenu taxable. Bien entendu, je ne prône pas pour autant ici une stratégie d’entreprise qui abolirait tout investissement au profit des dividendes : une entreprise a besoin d’investir, ne serait-ce que pour maintenir son outil de production. Mais investir à fonds perdus n’est pas une solution viable.
Au même titre que le fournisseur ou le banquier, l’actionnaire est un partenaire de l’entreprise. En faire le bouc-émissaire des difficultés économiques actuelles en le désignant comme profiteur du système est injuste et même contre-productif. Car, dans un contexte où la dette (publique et privée) reste massive, effrayer les apporteurs de fonds propres fragiliserait davantage les entreprises, seules aptes à créer de la richesse. Avec des répercussions négatives sur l’investissement et sur l’emploi.
La conclusion est simple : n’ayez pas le dividende honteux !