Se réinventer : La F1, le hip-hop et l’Opéra, à qui le tour ?

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif)Président fondateur de PMP et fondateur de Youmeo

On connaît ceux, ces dirigeants, ces entreprises, qui se sentent tellement immortels qu’ils n’envisagent pas de changer leur stratégie, et reproduisent ce qui a fait leur réussite d’hier, pensant qu’il ne peut rien leur arriver. Ils vivent dans la certitude, ne voient pas ce qui pourrait les faire fondamentalement changer, jusqu’à ce que l’improbable les fasse chuter, comme par accident.

Et puis il y a ceux, forcés par la conjecture, qui sentent bien qu’ils doivent, comme le dit l’expression, « se réinventer ».

Mais ça veut dire quoi, se réinventer ?

Tiens, prenez cette entreprise, qui avait en France 31 millions de clients en 2008, pour n’en avoir plus que 7 millions en 2017. Elle doit bien comprendre qu’il faut faire quelque chose.

Cette entreprise, c’est Formula One Group, qui gère la Formule 1 (F1). Les 31 millions et 7 millions sont le nombre de téléspectateurs qui regardent les compétitions de F1. Eric Albert, dans Le Monde du 3 mars, nous raconte son histoire. Elle a été gérée pendant quarante ans par Bernie Ecclestone, depuis chez lui, dans le centre de Londres. Sa préoccupation était de satisfaire les sponsors. Mais pendant ce temps-là, l’audience a baissé. En 2006, 600 millions de téléspectateurs à travers le monde, en 2017, 350 millions. En janvier 2017, c’est le milliardaire John C. Malone, avec sa société Liberty Media, qui a racheté l’affaire pour 8 milliards de dollars, et nommé un nouveau dirigeant, Chase Carey, un américain, pas trop expert en courses automobiles, qui vient de la télé.

Alors, le plan pour se réinventer, mettre fin au déclin et refaire des courses automobiles une véritable attraction populaire, c’est quoi ?

D’abord, quitter la maison du dirigeant historique pour de vrais bureaux. Embaucher une trentaine de personnes pour faire de la recherche en marketing. Consulter largement l’écosystème (constructeurs, écuries, télévisions). Et puis lancer deux chantiers :

  • Le client (l’audience télévisée) et la distribution : Avec le précédent dirigeant, la logique était de faire payer un maximum aux télévisions cryptées, celles qui payaient le plus ayant le plus de droits de diffusion. Mais avec ce système, de moins en moins de personnes voyaient les courses. Pour retourner ça la politique va être de diffuser plus de courses sur des supports gratuits, les télévisions bien sûr (TF1 va retransmettre trois courses cette année), mais aussi, digital oblige, les médias sociaux. Et aussi le lancement par Liberty Media de son propre service de télévision à la demande.
  • Le business model : revoir la distribution de l’argent entre les équipes pour qu’elle soit plus équilibrée. Aujourd’hui, le système donne une prime automatique à l’écurie ayant la meilleure place dans l’histoire de la F1, permettant à Ferrari de toucher 180 millions de dollars, contre 19 millions à la plus petite (Haas). L’idée de faire cesser l’inflation des budgets.

Et puis, se réinventer, cela concerne aussi le produit lui-même : Historiquement ce sport, c’est les moteurs fumants, les grid girls (« hôtesses de circuit ») dénudées. Avec le mouvement #metoo, les scandales du diesel, il faut passer à autre chose, avec des courses plus compétitives, plus d’action, moins de prévisibilité.

Un autre qui doit se réinventer, pour les mêmes symptômes, c’est le spectacle vivant. C’est ainsi que Bruce Ykanji, cité dans le même numéro du Monde par Rosita Boisseau, a bien du mal à vendre les 16.000 tickets pour l’évènement Hip Hop international Juste Debout, à l’AccorHotels-Arena de ce dimanche 4 mars. C’est une compétition internationale de danses hip-hop mais il lui restait vendredi encore 6000 billets sur les bras. Là, il faut se réinventer dare-dare.

Alors on fait quoi ?

  • Le client et la distribution : des films sur les réseaux sociaux, des Facebook Live,
  • Des produits : un « site expérientiel » avec billetterie intégrée, un jeu interactif pour tester ses connaissances et gagner des places et des smartphones, et pour les 500 premiers arrivés dimanche la connexion sur une appli pour participer au jury de la « battle ».

Mais aussi, là encore, le business model : La tendance générale, c’est celle d’une participation plus forte du public et plus d’interactions. Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris, interrogé dans l’article du Monde, le dit : « Bientôt les colonnes Morris ne serviront plus à rien. Aujourd’hui nous sommes passés d’un rôle de garant de l’institution à celui de facilitateur pour la venue des gens à l’Opéra, et cela passe par le numérique ».

Et pour attirer le public rajeuni impossible de se passer du digital. De nouveaux contenus émergent : bandes annonces des spectacles, vidéos des répétitions, entretiens avec les artistes, jeux-concours. Le tout sur les réseaux sociaux. Avec au traitement informatique des cibles marketing « Look alike » on peut atteindre des inconnus dont le profil se rapproche de ceux déjà intéressés par telle ou telle programmation.

Alors, qui croit encore que se réinventer, c’est pour les autres seulement ?

Ou alors on attend d’avoir 6.000 tickets invendus et des millions de clients disparus ?

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