Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Sommes-nous libres ?
C’est le sujet de la controverse tenue en public entre Henri
Atlan (médecin biologiste et philosophe) et Bertrand Vergely (philosophe et
théologien) en 2012, et dont le texte vient de sortir avec ce titre aux
Editions Salvator.
Ce qui nous donne le sentiment d’être libre, c’est le
choix : comme le dit Bertrand Vergely, choisir c’est être libre, et être
libre c’est choisir. On imagine bien l’entrepreneur, le manager, dans une
telles liberté : c’est moi le chef, le patron ; je décide, ils
exécutent (les autres, les collaborateurs, les employés) ; ça nous
rappelle quelqu’un…
Cela a l’air simple. Mais n’est pas si simple.
Car choisir peut être douloureux pour soi, quand on ne sait
pas choisir, cette impression de devoir sacrifier quelque chose en choisissant,
quelqu’un ou quelque chose que l’on aimerait garder…
Et, encore plus compliqué, si choisir n’est pas toujours
agréable pour soi, ça ne l’est pas non plus pour les autres.
Faire comme bon nous semble, comme un décret fantasque et
arbitraire, cela consiste à faire subir aux autres sa liberté. Cela devient
comme une tyrannie, et avec un tel système, personne n’est libre. C’est tout le
paradoxe du choix que met en lumière l’exposé de Bertrand Vergely.
D’ailleurs, cela ne nous plaît pas toujours d’être le seul à
choisir. Ce n’est pas à un consultant qu’on l’apprendra : une chose est de
ne pas vouloir que quelqu’un d’autre choisisse à notre place, une autre est de
croire que le choix ne concerne que celui qui le fait. En fait, autrui est
toujours impliqué dans nos choix. Le tyran, lui, pense que son choix d’être
violent, d’écraser les autres, exprime sa liberté. Mais nous ne sommes pas tous
des tyrans.
La liberté n’est pas solitude. Il est absurde de ramener la
liberté à une affaire d’opinion individuelle. Pour Bertrand Vergely, la liberté
existe parce qu’elle n’est pas tout. Parce qu’il existe un principe
transcendant la liberté.
Alors, pour ne pas tomber dans ces travers, dans les faux
choix, dans les comportements de tyrans, qu’est-ce qu’un vrai choix ? Un
choix qui nous rend libre.
Il comporte trois moments.
Le premier est le
désir. C’est un moment féminin. On ne choisit jamais à partir de rien. Il y
a une attirance, d’un désir. Celui qui choisit est en fait lui-même choisi. Nos
choix ne sont pas anodins ; ils étaient en nous depuis longtemps. Ceux qui
n’arrivent à choisir sont d’ailleurs souvent bloqués dans cette étape. Ils ont
perdu le contact avec leurs désirs. Vous devez connaître comme moi ce genre de
personnes, qui ne savent jamais quoi faire, qui s’ennuient parfois, ou bien
sont sur actifs.
Le deuxième moment, c’est celui de la volonté. C’est le moment masculin après le moment féminin du
désir. C’est le moment du basculement. A force de désirer, d’être attiré par,
on veut attirer à soi ce qui nous attire. Cela ne relève pas du décret
arbitraire, mais de …l’amour. On décide toujours quelque chose qui nous semble
être juste, qui nous attire intimement.
Cette vision de la volonté tranche avec ce la « volonté
de puissance » de l’égoïsme, de celui qui vit sa volonté comme une
domination.
Celui qui a franchi les étapes du désir et de la volonté
arrive alors au troisième moment : c’est le moment de la persévérance. Car s’il est beau de vouloir on ne veut jamais
vraiment que si l’on veut à nouveau ce que l’on a voulu une fois. Bertrand
Vergely cite Vladimir Jankélévitch, qui dit « la première fois a besoin
d’une seconde fois pour être la première fois, car sinon ce n’est plus la première
fois mais la dernière ». La
volonté, dans la persévérance, fait vivre une deuxième fois ce qu’elle a voulu
une première fois.
C’est sûr, voir ainsi le choix, avec ces beaux moments de
désir, de volonté, de persévérance, ce n’est pas décréter, faire l’arrogant,
c’est plutôt faire vivre le
jaillissement de la vie en soi, ce que l’on appelle….aimer.
Alors, dans nos comités de Direction, dans les réunions de
décisions entre entrepreneurs et investisseurs, dans les conseils
d’administration, et pourquoi pas au conseil des ministres, dans tous ces lieux
où l’on doit décider et choisir….
Peut-être suffirait-il de parler d’amour…
Joli programme !
A commencer par un
désir….