Par Bertrand Duperrin (chroniqueur exclusif) – Consultant en Management
Une actualité pour le moins tragique vient de remettre sur le devant de la scène la question du stress au travail. Le coupable est facile à trouver : un système tourné de manière exclusive vers le résultat à n'importe quel prix qui a pour conséquence management déshumanisé. Remarquez que c'est ce qu'on dit de nombres d'entreprises et pas spécifiquement de celle actuellement propulsée sous les feux de la rampe.
Il y a peut être de cela mais c'est peut être aller vite en besogne que se limiter à nos "usual suspects" favoris.
Quand on regarde de plus près, il n'y a pas une seule entreprise où l'atteinte de l'objectif ne doive pas être l'objectif non pas unique mais prioritaire de tout un chacun. Et pourtant il y a des entreprises où cela se passe bien. Il y a même, quoiqu'on en dise, des entreprises où les salariés sont heureux malgré un niveau d'attente parfois exceptionnellement haut. On a même la preuve que sans objectifs un brin ambitieux (mais atteignables) le salarié finit par se démotiver et perdre le fil de sa vie professionnelle, pour ne pas dire commencer inconsciemment à rentrer dans une attitude dépressive.
On cite souvent le modèle "startup" pour la bonne ambiance et l'humanité des rapports, avec la traditionnelle image d'Epinal d'un Google ou de ses semblables qui fournissent un cadre idyllique voire ludique à leurs collaborateurs dans une ambiance potache. Mais cela ne doit pas faire oublier pour autant que ces entreprises sont tout sauf des œuvres caritatives et que l'attente est proportionnelle aux efforts de l'entreprise. Ceux qui y passent vous diront souvent que c'est agréable, confortable, "challengeant" mais, surtout, très, très exigeant, que le couperet tombe vite lorsqu'on déçoit. Et pourtant….
Un problème intéressant car il touche toutes les entreprises, de la grande à la plus petite, et parfois j'aurais envie de dire surtout la petite où le dirigeant ne peut que rarement prendre du recul ou se faire conseiller est tombe vite dans le piège de la pression qu'il reçoit par ailleurs et qu'il répercute par réflexe le long de la chaine hiérarchique.
En fait, avec un peu de recul et même s'il n'existe aucune formule magique, il semble que tout dépende de la manière dont on prend le problème : de manière descendante (tout se passe entre le manager et le collaborateur) ou ascendante (tout se passe entre le collaborateur et le terrain). Avec des conséquences flagrantes : dans un cas le manager ne peut que "pousser" ses équipes faute de pouvoir agir à leur place et impacter ce à quoi elles font face, dans l'autre il prête une grand importance à ce que le collaborateur rencontre comme obstacles et s'attaque aux dits obstacles.
De manière imagée, imaginons que l'on doive faire rentrer un colis dans un coffre de voiture un peu petit. Dans un cas on force quitte à abimer le colis et endommager son contenu…ou briser la lunette arrière du véhicule une fois qu'on refermera. Dans l'autre on rabat la banquette arrière et tout se passe bien. Et bien avec les collaborateurs c'est un peu pareil.
Il n'y a pas un collaborateur qui n'ait envie d'atteindre les objectifs qu'on lui fixe. Mais lorsqu'il n'y arrive pas, les exhortation et la pression (qui peuvent donner un coup d'adrénaline ponctuellement) ne servent à rien sur le long terme pour la simple et bonne raison que l'objectif est ou apparait comme innatteignable. On peut, par des encouragements et de la pression, pousser un coureur à gagner quelques centièmes de seconde sur une course. Mais croire que plus de pression l'amèneront à courir le 100 mètre en 3 ou 4 secondes est illusoire, voire stupide, et tout le monde le comprend bien. Il en va de même au bureau. Les entreprises qui réussissent avec un niveau d'exigence élevé sont celles qui essaient de rendre la tâche du collaborateur possible au lieu de l'exhorter à l'impossible.
Les obstacles bloquants qui font que malgré la pression quelqu'un ne peut en faire plus sont nombreux. Mais on retrouve souvent les mêmes : le marché lui-même (objectifs irréalistes), le marketing (mauvais positionnement produit ou leads mal qualifiés, cible mal choisie), la culture (demander un comportement peu en phase avec la culture de l'entreprise, souvent le cas quand une entreprise prend un virage à 180° sans se préoccupé de la capacité des salariés à virer aussi vite que le discours), le process (perte d'énergie dans des tâches administratives improductives), l'organisation (difficulté d'avoir le support nécessaire pour faire face à un problème), le management (perte de fierté au travail)…la liste est longue.
Parfois il y a des choses à changer, parfois des choses a expliquer, parfois il faut se résoudre à l'évidence et se dire que cela prendra du temps (et ça n'est pas parce qu'on manque de temps que cela rendra le salarié plus réceptif au changement…au contraire on générera un réflexe de défense…). En un mot : mieux vaut anticiper lorsque tout va bien au lieu de se retrouver en tant que manager devant une tâche insurmontable, ironiquement similaire à celle qu'on demande alors à ses équipes.
Une fois ceci pris en compte il est plus facile d'obtenir un engagement sans concession de collaborateurs qui voient qu'on se bat pour eux et qu'on ne leur demande pas seulement de se battre pour soi, il devient également plus simple de s'occuper du cas particulier de ceux qui, eux, se réfugient derrière de fausses excuses.
En un mot, et surtout en des temps difficiles, la clé du succès est davantage dans ce qui se passe sous le collaborateur qu'au dessus de lui, même s'il est plus simple (mais inefficace) de se focaliser sur la personne sans comprendre son contexte.
Un dernier mot sur l'utilisation des outils de communication, puisqu'il s'agit d'un de mes terrains de prédilection. En fluidifiant les échanges, en les rendant instantanés, en permettant d'échanger sans se voir ni se parler (même lorsqu'on partage le même bureau), on a inconsciemment renforcé le syndrome de la "patate chaude". Forwarder un email est indolore, évite d'expliquer, de s'expliquer, et permet de passer le problème à quelqu'un d'autre. Un problème qui au final finit par échoir dans la boite d'une personne qui ne peut plus se permettre de l'envoyer à quelqu'un autre, qui devient le collectionneur des problèmes des autres. Et se retrouver chaque matin devant une liste de choses à faire, bombardées sans un mot, sans un merci, et sans même se préoccuper de savoir si la personne peut matériellement le faire dans les temps est également un facteur de stress ô combien négligé. Tous les outils dont nous disposons peuvent nous permettre d'être plus efficaces sur un plan opérationnel. Mais lorsqu'on les utilise il ne faut oublier d'essayer de s'exprimer comme si on avait l'autre en face de soi, qu'on doive soutenir son regard. Et ne pas oublier qu'envoyer un email (pour avoir une trace) ne dispense pas, surtout lorsqu'on traverse des turbulences, de faire 10 mètres pour dire deux mots à son collègue.
push vs pull (remind f tel. Plutot que pousser, regarder ce qui bloque DEVANT le gars au lieu de pousser DERRIERE)
Metaphore avec le collis a rentrer dans le coffre de la voiture