« Suspects, prospects, clients » : Les parades face aux stratagèmes déloyaux d’un négociateur va-t-en guerre


Par Philippe Guihéneuc (chroniqueur exclusif) – Directeur Associé – Highburry

Tous les bons manuels de management vous le diront : une bonne négociation est une négociation win-win, dans laquelle chaque partie trouve son intérêt à moyen et long terme, quitte à consentir quelques efforts à court terme, sur une base objective et sereine.

Ca, c’est la théorie. Dans la pratique, vous êtes vendeur face à un acheteur qui vous met une grosse pression pour que vous divisiez vos prix par trois ou quatre, et dans ces conditions vous ne voyez pas trop où se situe son sacrifice court terme à lui. Comment négocier quand on est seul à vouloir négocier ?

Une négociation unilatérale est un concept paradoxal, mais qui n’en n’est pas moins une réalité très concrète. Voici quelques éléments de parade aux stratagèmes déloyaux déployés par vos interlocuteurs.

– Le Mensonge délibéré. Toute relation reposant sur la confiance réciproque, le mensonge est à proscrire. Pour autant, il existe toutes sortes de mensonges, et une infinité de bonnes excuses pour les utiliser. Raison de plus pour vérifier auprès de vos interlocuteurs tous les arguments et informations communiqués. S’ils constatent que vous vous faites fort de tout vérifier, ils seront moins tentés de mentir.

– Les Promesses fallacieuses. Un homme politique affirmait que les promesses n’engagent que ceux qui les entendent. Dans les closings commerciaux, on voit souvent l’acheteur promettre monts et merveilles. « Je sais que notre maison-mère s’intéresse de très près à notre projet. J’ai déjà évoqué votre nom à notre PDG. Après la signature, je pourrais vous le faire rencontrer ». Demandez des précisions, des preuves (dans l’exemple ci-dessus, une copie des emails échangés entre votre interlocuteur et son PDG). Puis, le cas échéant, obtenez de votre adversaire qu’il reconnaisse la réalité des faits (« Vous reconnaîtrez avec moi qu’en l’état actuel de ce que vous nous proposez, nous ne pouvons pas inclure ces éléments comme valeur d’échange. Bien sûr, nous sommes prêts à étudier toute nouvelle information en la matière que vous voudrez bien nous communiquer »).

– La Menace. Elle prend le plus souvent la forme du spectre du concurrent. Parade : répondre qu’on ne travaille pas sous la menace, puis immédiatement enchaîner sur un point constructif. Si la menace persiste, faites remarquer à votre bourreau que son attitude pourrait mener à l’échec des négociations, ce que personne ne souhaite. « Est-ce ainsi que vous concevez la relation avec nous ? Doit-on en comprendre que par la suite, vous continuerez en permanence à nous menacer ? Doit-on prendre en compte votre attitude comme une constante dans nos relations futures ? Car, croyez-le bien, cela changerait considérablement notre point de vue sur la valeur de l’échange ». Valeriu Butulescu (écrivain et essayiste roumain) : « Avant de négocier avec le loup, mets-lui une muselière ».

– L’Affront (mettre en doute, critiquer, sous-estimer, attaquer sur des points annexes ou personnels…). Ce sont les attaques personnelles sur les vêtements, l’air fatigué… Ne vous en offusquez pas et considérez ces attaques en dessous de la ceinture comme des marques de faiblesse de vos adversaires. Concentrez-vous sur les faits et sur la recherche de solutions constructives, quoi qu’il en coûte à votre ego.

– L’Intimidation. Vos interlocuteurs vous font attendre, vous reçoivent dans de mauvaises conditions (ils ne vous servent pas d’eau, vous font attendre debout …), ils répondent aux appels et s’absentent sans mot dire en cours de réunion, regardent par ailleurs en évitant soigneusement de croiser vos yeux… Il existe des centaines de ces tristes manœuvres, doublement stressantes. Car on est déstabilisé, ce qui pousse à trop parler. Feignez l’indifférence, relisez vos notes, votre dossier. Puis, si l’attitude de votre vis-à-vis se prolonge, usez d’humour avec discernement. Evitez de vous énerver, de montrer des signes d’agacement, en somme d’agir comme vos adversaires s’attendent à ce que vous le fassiez.

– Le saumon. Négociateur qui n’a de cesse de revenir sur les décisions prises. Tactique très efficace qui consiste, si l’on consent à un compromis, à demander en échange que l’on revienne sur une décision qui a précédemment été actée, au principe qu’elle doit être revue à la lumière des arguments qui ont conduit au compromis. Soyez ferme : une décision prise ne doit plus être remise en cause, qu’elle qu’en soit la raison. La réussite de la négociation est plus importante que la négociation elle-même.

– Les dés sont jetés. Prenons l’exemple de la confrontation imaginée par Thomas Schelling. Deux conducteurs se défient en fonçant l’un vers l’autre. Le perdant est celui qui écarte son véhicule pour éviter la collision. Dans la stratégie des dés jetés, l’un des conducteurs arrache son volant et le jette par la fenêtre. L’autre n’a que deux solutions : s’écarter de sa route ou accepter le choc. La stratégie des dés jetés est fréquemment utilisée par les syndicats qui, en période de grève, annoncent publiquement qu’ils ne cèderont pas à moins que le gouvernement accepte leurs exigences. Par leur déclaration, ils s’enferrent eux-mêmes dans la contrainte : ils n’ont plus d’autre choix que de réussir, donc le gouvernement de céder. On peut parer les dés jetés en tâchant de diminuer la portée des propos : « Vous avez annoncé un objectif. Nul ne peut prétendre à atteindre tous ses objectifs ». Quand ce n’est pas possible, il est préférable de se retirer, de faire échouer la négociation en proposant qu’elle reprenne sur d’autres bases, éventuellement avec d’autres acteurs. « Soyez à leur pied… A leurs genoux… Mais jamais dans leurs mains » (Talleyrand).

– L’Assistant. Bon nombre de grandes organisations construisent des couches successives de négociation : d’abord un chef de projet qui se contente d’influencer la décision, puis le décideur, puis un professionnel des achats, puis la comptabilité… A chaque niveau, sous prétexte de contraintes règlementaires internes, on vous demande de faire un sacrifice supplémentaire : quelques jours de délai de règlement, une remise nouveau fournisseur, un descriptif plus complet du produit. Demandez dès le départ dans quel cycle de décision et de commande vous allez devoir vous engouffrer, et si vous vous rendez compte en cours de route que vous négociez avec un non-décideur, validez l’intérêt de l’interlocuteur puis proposez de négocier le plus haut possible dans la hiérarchie.

– La Temporisation. L’adversaire gagne du temps, fait reculer la décision. Si le temps joue objectivement en sa faveur, il faut chercher à en limiter les effets et trouver des critères objectifs pour que la négociation s’inscrive dans un timing précis.

Dans les cas extrêmes (l’adversaire refuse absolument le jeu de la discussion et cherche à imposer ses vues sans écouter les nôtres), si aucun autre moyen n’a fonctionné, il vous reste à faire volontairement échouer la négociation. C’est la stratégie d’anti-vente, ou de repli sur la meilleure alternative. En toute circonstance, il est essentiel que votre interlocuteur ait conscience qu’il n’a pas toutes les cartes en mains, que vous pouvez aussi prendre une décision.

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