Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Impossible d’ouvrir un magazine économique ou financier sans tomber sur un article qui traite du sujet des algorithmes. Ces logiciels qui se nourrissent des « big datas », cette multitude de données issues d’Internet et des objets connectés, prennent chaque jour un peu plus de place dans nos vies en nous apportant une aide à la décision (consommation, investissement, gestion d’entreprise, etc.).
Très prochainement, ils pourraient aider à résoudre un des plus épineux problèmes de la finance (tel que défini par Bill Sharpe, un des pères de la finance moderne), à savoir comment déterminer, en tenant compte du profil de chaque individu, la « bonne » accumulation de richesses tout au long de la vie active et, une fois à la retraite, comment optimiser les retraits à opérer tout en s’assurant une qualité de vie en adéquation avec ses attentes ? Bref, ce qui est en jeu revient tout simplement à permettre à chacun d’établir une trajectoire de façon à profiter au mieux de la vie, compte tenu de ses objectifs.
C’est un sujet extraordinairement complexe, qui dépasse de loin la capacité d’une intelligence humaine moyenne. Vous hésiteriez à vous en remettre à un algorithme pour prendre ce genre de décision ? Personnellement, je vous comprends. Mais les mentalités évoluent avec le progrès : auriez-vous considéré, il y a seulement 5 ans, de monter dans une voiture sans conducteur ? Et regardez autour de vous. Avez-vous l’impression que tel oncle récemment décédé et qui s’était constitué depuis des années un bas de laine très bien garni a profité de ce qu’il avait ? Ou encore que ce voisin a bien fait de quitter son travail à 45 ans pour réaliser son rêve de faire le tour du monde en moto, croyant que ses économies, une fois investies en Bourse, lui permettraient de vivre confortablement sans travailler ? Aujourd’hui, il est sans le sou après des placements malheureux et ne parvient pas à reprendre une activité. Imaginez à l’inverse, un système logiciel, basé sur des projections réalistes et mises à jour régulièrement, qui, certes, ne vous dévoilera pas l’avenir avec précision (espérons que nous n’en arriverons jamais là : la vie serait si terne sans une part d’inattendu !) mais, en fonction de tous les paramètres qui définissent votre vie (y compris votre espérance de vie, compte tenu de votre bilan de santé), ainsi que vos attentes/projets, vous indiquera que, par exemple avec une probabilité de 70% de ne pas vous tromper, il est devenu possible, étant donné votre situation financière, de quitter votre travail de façon à vivre plus en adéquation avec ce que vous souhaitez réellement.
OK, vous ne prendriez pas le risque à 70%. Libre à vous de décider de fixer cette probabilité à 80% ou 90%. A 100% ou asymptotiquement près de 100%, il faudrait que votre avoir soit devenu considérable et que vos attentes soient minimales.
Mais pourquoi user d’un algorithme en la matière ? Après tout, il existe des calculs rapides donnant de bonnes approximations. Par exemple, considérons la formule suivante : multipliez votre âge par votre patrimoine net et divisez le tout par vos dépenses annuelles ; si vous obtenez un résultat supérieur à 1000, alors vous pouvez vous arrêter de travailler.
Intuitivement, malgré l’attrait de la simplicité d’un tel ratio, chacun comprendra que prendre une décision aussi importante sur cette seule base n’est pas prudent. La nature de son patrimoine, l’état de sa santé, son état civil (statut marital et parental), l’intérêt que l’on trouve encore ou non à son travail, le contexte et les projections économiques (y compris l’inflation) et démographiques à moyen et long termes, l’évolution probable du régime des retraites, le rendement attendu des placements financiers, etc… Autant de critères qui, combinés, donnent un gigantesque ensemble de possibilités à « probabiliser » de façon à éclairer les choix des individus.
Et ce n’est pas fini. Une fois que le candidat à la « belle vie » (ou présumée telle) aurait sauté le pas, il lui reste encore à optimiser ses retraits d’argent sur la durée qu’il lui reste à vivre, tout en gardant à l’œil son objectif final, que celui-ci soit de finir avec le moins d’argent possible ou bien d’assurer un héritage à ses enfants ou un don à telle ou telle cause caritative. Ce n’est pas la partie la plus facile car, selon l’âge, elle peut se jouer sur un temps relativement court qui rend toute erreur difficilement réparable, du moins dans une optique d’optimisation.
C’est une quête humaine qui remonte à l’aube des temps. Comment tirer parti au mieux du temps qui nous est accordé ici-bas ? Malgré les réels progrès technologiques qui définissent notre époque et qui baliseront les décennies à venir, il n’est guère envisageable d’obtenir jamais une réponse exacte à cette interrogation. Du moins sur un plan strictement matériel. Je l’ai d’ailleurs souligné : une vie parfaitement écrite à l’avance est-elle encore une vie ? Mais accepter (ou non) l’aide à la décision qu’apporte la technologie pour nous guider en toute connaissance de cause est une option qui, lorsqu’elle sera disponible au plus grand nombre, sans doute dans un proche avenir, ne peut qu’enrichir la liberté de chaque individu.