Un Facebook en entreprise ? Mais vous n’y pensez pas !

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Par Jérôme Delacroix (chroniqueur exclusif)CoopératiqueNearbee

Je ne cesserai pas de m’étonner des bizarreries de la langue française. L’expression « travail collaboratif » en est un parfait exemple. On y trouve en effet le travail, instrument de torture comme chacun sait (tripalium en latin) et le labeur ou labour. Rien qu’à employer cette expression, on sent déjà perler la sueur sur son front. Pour ma part, je m’attacherai aujourd’hui au plaisir. C’est pour cette raison, notamment, que je préfère parler de travail coopératif, car la perspective de l’opéra, qu’il soit au chocolat ou musical, est quand même plus réjouissante, vous en conviendrez. Le plaisir est une dimension intrinsèque de ce qu’il faut bien appeler le travail. On peut « prendre son pied » dans ce qu’on fait, gouter le frisson de l’adrénaline sur un projet important, quand on a le sentiment de repousser ses limites.

Mais le plaisir au travail a aussi un ressort social. C’est
lorsqu’on s’entend bien avec ses collègues et sa hiérarchie, quand on peut
rencontrer de nouvelles personnes au profil différent, voire quand on peut
voyager et découvrir de nouvelle cultures professionnelles.

Confrontées a la guerre des talents, les entreprises usent
de toutes leurs armes pour attirer puis conserver les individus les plus
brillants : salaire et autres avantages, formation, perspectives de carrière,
etc. Et si elles avaient la plus grande richesse et la plus grande motivation a
portée de main, dans le plaisir que
leurs collaborateurs peuvent trouver à se retrouver chaque matin ?

Les réseaux sociaux peuvent à ce titre jouer un rôle. Il y a
bien sur les réseaux publics existants, LinkedIn, Viadeo et autres Xing. Les
individus peuvent y faire valoir leur expertise et leurs expériences, s’y
retrouver dans des hubs par centres
d’intérêt, et depuis peu mettre à jour leur statut et suivre celui des contacts
de leur réseau : c’est le fil d’activité, permettant de savoir que votre
collègue est entré en contact avec tel prestataire, que votre correspondant au
Marketing vient de terminer une analyse concurrentielle ou que votre ancien
voisin de bureau vient de créer son entreprise.

Tout ceci a l’avantage de maintenir le lien et la présence à l’esprit entre des personnes travaillant ensemble, ayant travaillé ensemble ou qui pourraient le faire à l’avenir. A condition de ne pas être inscrit dans trop de hubs ou groupes  et d’avoir bien paramétré ses alertes e-mail, on peut recevoir toutes ces informations sans être incessamment dérangé par une avalanche de messages.

Ceci dit, les jeunes, étudiants, lycéens, qui regarderaient
les professionnels que nous sommes utiliser ces réseaux sociaux tous plus gris
et austères les uns que les autres, se marreraient surement en douce. A moins
qu’ils ne haussent les épaules avec condescendance. Car les vrais pros des
réseaux, ce sont bien eux. Certains n’ont même plus d’adresse e-mail : ils
communiquent par messagerie instantanée, Facebook ou MySpace.

Et c’est vrai qu’ils sont beaux ces réseaux, colorés,
ludiques. Facebook est particulièrement innovant en ce qu’il est le premier à avoir mêlé les aspects
professionnels et personnels en un même lieu. Sa diffusion virale est telle
qu’après quelques semaines de pratique, vous ne tarderez pas à compter parmi
vos « amis Facebook » non seulement des amis, mais aussi des
membres de votre famille et des contacts professionnels. Une multitude
d’applications permettent de comparer ses gouts, ses lectures, ses voyages, ou
tout simplement des vidéos ou animations amusantes. Si des professionnels peuvent
être connectés ensemble sur cette plate-forme, c’est surtout l’aspect personnel
de leur vie qu’ils seront amenés à rendre plus visible.

C’est justement là que le bas blesse car dans notre culture,
la vie personnelle et la vie professionnelle sont des choses qui ne se
mélangent pas. Chaque matin, le salarié dépose une bonne partie de sa
personnalité au vestiaire, et ne la reprend que le soir. Cela n’empêche pas des
collègues d’échanger des anecdotes de week-end ; mais cela limite à coup sûr l’affectio societatis sur une plus grande
échelle.

Et si c’était très bien ainsi, me direz-vous peut-être ? Les
exemples sur les dangers de Facebook sont toujours les mêmes : avez-vous envie
que votre patron puisse voir les photos de l’enterrement de vie de garçon de
votre beau-frère, photos ou vous n’êtes guère à votre avantage, avec tout le
respect que je vous dois ? Et les réponses sont aussi toujours les mêmes : vous
pouvez paramétrer vos options de vie privée de manière à ne partager vos photos
et autres informations très personnelles qu’avec ceux que vous voulez ; vous
pouvez même ajouter votre client comme ami en ne lui laissant voir que votre
« profil limité ».

Sans entrer dans ce débat, je préfère m’attarder sur ce que
Facebook révèle et sur la manière dont les entreprises peuvent en tirer parti.

La première chose, c’est que le risque n’est au final pas si
grand de partager un peu de sa vie perso avec des contacts professionnels. Cela
évite une certaine schizophrénie, et cela permet de mieux connaître la touche
humaine de ceux avec qui vous travaillez. Et s’il y a bien quelque chose dont
l’environnement professionnel a besoin, c’est de plus d’humanité.

La deuxième, c’est que l’univers Facebook peut très bien
être adapté à l’entreprise, en interne, dans un espace clos. Elle a tout à
gagner dans cette humanisation et dédramatisation des rapports sociaux entre
ses collaborateurs. C’est l’expérience que je mène actuellement avec deux
clients, à l’occasion de séminaires de formation et d’universités d’entreprise.
L’occasion est laissée à ceux qui le souhaitent de participer à un Facebook
« corporate », pour maintenir le lien social, une fois que chacun est
retourné sur son site ou dans son bureau. Les premières interviews utilisateurs
menées révèlent que cette possibilité correspond à un besoin pour toute une
catégorie de personnes qui regrettent de ne pas avoir pu maintenir des contacts
avec des collègues venus d’autres pays ou exerçant d’autres métiers, à l’issue
de séminaires précédents. D’autres professionnels montrent plus de réticence.
Nous leur laissons le choix de prendre part au jeu ou non, sachant qu’en la
matière on ne saurait imposer ces démarches orientées « plaisir de la
sociabilité ».

Mon pari est que les premiers explorateurs y prendront goût,
et que l’utilisation du réseau social d’entreprise finira par se diffuser.
C’est à mon sens un levier de plus pour construire une nouvelle culture du
management.

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