Un mauvais conseil pour un bon business plan

Par Philippe Guihéneuc (chroniqueur exclusif)

Comment construire un bon business plan ? Il existe de nombreuses et excellentes publications sur le sujet, à commencer par celles de l’APCE (www.apce.fr). La plupart, cependant, détaillent surtout la colonne « moins » : celle des charges et des décisions d’investissement. Pour la bonne moitié de votre projet, celle du chiffre d’affaires prévisionnel, on vous conseille généralement de faire une étude de marché, ou mieux, de la faire faire. C’est évidemment un bon conseil. Celles et ceux qui se sont frottés à l’exercice confirmeront que la présence d’un rapport d’études dûment signé par une société spécialisée peut favorablement impressionner un banquier ou un investisseur privé.

Ils vous diront aussi que les résultats dudit rapport ne doivent pas être pris au pied de la lettre.

C’est que fixer les ventes prévisionnelles sur trois ans relève plus de l’art divinatoire que des lois statistiques. La remarque est encore plus vraie quand l’exercice porte sur un nouveau produit, ou sur un nouveau marché. « Ce ne sont pas les études de marché sur la lampe à huile qui ont permis l’invention de l’électricité » (Daniel Jouve). Un « quanti », c'est-à-dire une étude menée auprès d’un échantillon assez vaste pour en tirer des enseignements statistiques, n’a pas vocation à décrire l’avenir, mais plutôt à cartographier le présent – au mieux à donner une tendance pour les prochains mois. Quand aux techniques qualitatives, de type entretien approfondi ou réunion collective, elles ne peuvent vous aider qu’à affiner votre proposition de valeur et choisir un positionnement. Penser que vous pouvez déduire votre chiffre d’affaires 2011 d’une vingtaine d’entretiens individuels (ou, comme je l’ai vu récemment, d’une dizaine de brainstorming !!!) est, dans le meilleur des cas, la marque d’un esprit facétieux.

« Quand j’ai créé mon entreprise, je suis allé à la Chambre de Commerce, parce qu’il faut bien que nos institutions vivent ; on m’a conseillé de faire réaliser une étude de marché par une junior entreprise, et c’est ce que j’ai fait parce qu’il faut bien que nos étudiants vivent ; et puis j’ai jeté tout ça parce qu’il faut bien que je vive », aurait pu dire Guitry. Les études sont nécessaires mais il faut les utiliser pour ce qu’elles peuvent apporter – et non pas pour ce qu’on aimerait les rendre capables de faire. Et à défaut de baser entièrement votre BP sur les résultats élogieux d’une investigation plus ou moins rondement menée, voici donc notre mauvaise recette pour produire un bon dossier de financement. Mauvaise parce que peu académique, bien qu’elle soit basée sur du bon sens et qu’elle ait largement fait ses preuves.

1- Faites faire une étude… mais n’en gardez que la substantifique moelle, à savoir les informations qui vous donneront une tendance générale sur la situation de votre marché. Mettez de côté les estimations chiffrées qu’on vous a communiquées (de type : prévision de CA de X M€ sur le produit A sur le marché B), et réservez.

2- Amincissez votre équipe au plus bas de ce que vous pouvez admettre comme acceptable. Imaginez une activité « à vide » la première année, c'est-à-dire entièrement financée par la somme initiale que vous pouvez injecter dans l’entreprise. Par exemple, si vous créez un éditeur de logiciels et que votre investissement initial est de 100 K€, tablez sur la moitié en salaires bruts, soit 50 K€, ce qui vous donne une idée du recrutement que vous pouvez vous permettre dans un scenario worst case.

3- Versez 30% de vos équipes au marketing et au commercial. Appliquez au nombre de commerciaux le coefficient multiplicateur du salaire habituellement retenu dans votre secteur d’activité (par exemple, entre x10 et x20 dans les prestations intellectuelles : un commercial qui touche un salaire de 50 K€ annuel doit générer entre 500 et 1 000 K€ de marge commerciale dans la même période, l’ampleur du coefficient étant déterminé par le niveau de positionnement concurrentiel de votre offre), et divisez le tout par deux. Vous aurez ainsi un chiffre d’affaires worst case en année 2.

4- Faites tourner votre tableur, montez en sauce, vérifiez que votre entreprise tient toujours la route ou évaluez vos besoins en financements. A ce stade, un prévisionnel en trésorerie a aussi un sens : bien que l’effet de ciseau ne concerne guère les situations de pénurie, des ventes en berne ne sont que rarement suivies de trésoreries pléthoriques.

5- Pour l’année 3, couvrez et maintenez le cap. Il est illusoire de penser que dans le pire des cas, le chiffre d’affaires augmente d’année en année. Considérez que le décollage sera pour N+4.

6- Après le worst case, passez au best case. Reprenez les chiffres communiqués par votre cabinet d’études et incorporez-les doucement dans le tableur. Puis adoptez une position médiane entre le worst et le best – le middle case – en vous rappelant avec Plaute qu’ »En toutes choses, le plus sage est de tenir un juste milieu ».

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