Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) – Consultant, Délégué Régional du Groupe ITG
Le consultant individuel est un travailleur nomade, souvent, un télé-travailleur, parfois, en tous cas une personne qui a besoin de se gérer toute seule !! Comment nous organisons-nous ? Dans quel environnement de travail fonctionnons-nous ? Avons-nous besoin d'ordonner totalement notre activité ? Ou préférons-nous une certaine dose de désordre créatif ? Le livre paru au début de cette année, sous le titre "Un peu de désordre = beaucoup de profit(s)" apporte un éclairage détonnant dans la pensée unique largement répandue à propos du rangement, du classement et autres opérations de mises en cases.
Il m'arrive de voir l'antre personnelle d'un certain nombre de consultants autonomes "portés" et d'autres professionnels libéraux. L'image est bien différente, selon la personnalité de l'individu. Et c'est bien là ce que voudraient nous faire gommer, annuler ou combattre les "ayatollas du rangement". Le livre nous explique qu'en réalité il s'agit d'un business de l'organisation, comme il existe un business de la déco, avec les émissions actuelles sur M6, produit d'appel pour les livres, les vidéos et autres produits dérivés de la dame si généreuse… en conseils !!
Parmi les idées analysées avec humour et esprit critique, les auteurs nous parlent de quelques préjugés à propos de la gestion du temps. Deux exemples, parmi d'autres :
• savoir où l'on va, avoir une activité ciblée : ainsi, on évite les distractions, selon l'orthodoxie de la gestion du temps. Or, que se passe-t-il si les objectifs qu'on s'est fixés au départ ne sont plus valables ? Dans l'administration, on ne peut généralement rien faire, si tant est qu'on le veuille, dressé par la culture de dé-responsabilisation qui fait tant de mal à notre pays. En entreprise, on peut aussi continuer sur sa lancée, surtout si on a un responsable au dessus qui pourra porter le chapeau de l'erreur de stratégie !! Quand on est son propre patron, en activité solo, on va dans le mur !! Ben Fletcher, spécialiste de la psychologie expérimentale, a observé que la source principale de stress venait du dirigisme des cadres supérieurs, reproduisant des habitudes de rigidité. En leur proposant d'introduire des variations de comportements, même légères, les résultats obtenus ont surpris tout le monde : les dirigeants ont vu qu'ils pouvaient se conduire différemment avec leurs collaborateurs. Au delà, ils ont réalisé que "de nouveaux comportements conduisent à des expériences nouvelles, qui aident finalement les gens à modifier leur façon de penser". Et c'est bien là l'enjeu de la créativité et de la flexibilité, pour minimiser le risque inhérent de dévalorisation de tout consultant.
• ne pas remettre au lendemain : un temps de recul est souvent plus utile que de tout traiter au fur et à mesure, et à chaque fois qu'on a un peu de temps devant soi. Un exemple vécu souvent concerne la réaction à chaud à un courriel : en laissant reposer la réponse, on la relit avec une meilleure fraîcheur d'esprit, et on rectifie le tir. En organisant un ensemble de choses, on sera plus efficace que si on l'avait fait sujet par sujet. Par ailleurs, on profitera de davantage de richesse de matière pour programmer un événement ou planifier un projet
Autre recommandation habituelle des livres, des stages et des articles sur l'organisation personnelle : jeter les papiers et les choses. Si je reviens sur l'antre de certains consultants, ce qui fait la chaleur de leur environnement tient parfois à peu de choses : quelques objets dotés d'une valeur sentimentale, liés à un souvenir fort, des livres jamais lus, des articles ou revues dépassés. Or, si l'on suit à la lettre les injonctions des organisateurs, il faut se débarrasser systématiquement de ce qu'on n'a jamais utilisé, lu ou ouvert, mais aussi de ce qu'on n'a pas ouvert depuis "x" temps. Il y a quelques semaines, j'ai ainsi fait un tri salutaire de papiers, revues, courriers postaux (oui, il y en a encore quelques-uns), qui débordaient de deux tas près à tomber, et que j'avais compulsé trois ou quatre fois pour chercher quelque chose. Qu'ai-je constaté ? De bonnes surprises, des factures faciles à classer, des papiers à détruire et beaucoup de revues à jeter !! Mais, attention, stop ! Avant de les jeter, en les feuilletant rapidement, j'ai pris quelques minutes pour lire deux ou trois articles que je n'avais pas lu et qui m'étaient utiles. J'ai aussi découpé quelques pages de 3 ou 4 articles à lire ensuite. Et bien entendu, j'ai obtenu un sac entier de revues, journaux ou magazines. Les organisateurs ont raison de dire qu'on se sent mieux et plus légers après avoir fait un rangement par le vide, mais les auteurs du livre ont raison de prévenir ceux qui le font de manière aveugle qu'ils perdent une partie de leur histoire, de leur vie, de leur "affect".
Une conclusion pour nous, entrepreneurs solos, pourrait consister à fonctionner en cycles inégaux et non réguliers de "lâcher prise" et de mise en ordre. On laisse le désordre s'installer, un peu, assez, pour la créativité qu'il facilite, pour les associations d'idées entre des dossiers qui n'ont rien à voir a priori entre eux. Ainsi, nous pouvons nourrir ce besoin essentiel de rebondir, de découvrir, d'innover, de voir les choses sous un autre angle, d'exercer notre esprit critique, de ne pas tomber dans le style "gourou", docte professeur ou donneur de leçons devant ses clients, pire encore devant ses prescripteurs ou collègues. Ensuite, quand le désordre devient improductif, quand on perd plus de temps à chercher qu'on n'en gagne à ouvrir son esprit à des associations d'idées prometteuses, là il faut se décider à remettre une bonne dose d'ordre.
En tous cas, ce que démontre bien le livre ce sont les avantages d'un certain désordre : au delà de la flexibilité, déjà mentionnée, ce qu'ils appellent la "complétude", ce sentiment de caverne d'Ali Baba, de richesse de la matière première qui va pouvoir servir à expérimenter diverses solutions. Egalement, la résonance avec son environnement, qui permet de mettre au diapason des sources variées d'information. Et aussi, l'invention qui naît du désordre créatif de tant d'inventeurs justement. Il y a aussi l'efficacité avec peu de moyens, au contraire de l'investissement en temps, systèmes et accessoires de classement des partisans de l'ordre à tous prix. Et enfin, la solidité des systèmes désorganisés, nettement moins fragiles que l'ordre rigide, car ils colmatent les brèches, tissent des liens de type réseau, comme l'internet, avec ses redondances qui assurent la circulation de l'information, sans les risques du tuyau unique.
Lire aussi l'article du Journal du net, le 11 mars 2008.