Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Depuis la crise financière de 2008, plus de trois ans se sont écoulés. Alors que, dans un premier temps, au plus fort de la tempête, il n’est jamais facile de statuer sur le diagnostic et sur les remèdes à apporter, il nous est possible aujourd’hui d’y voir un peu plus clair. Ce fut à la fois une crise classique dans sa nature financière et nouvelle dans son ampleur. Oui, le monde développé s’est gavé de dettes pour compenser une croissance organique trop faible. Et, non, le retour à la normale ne se fait pas aussi facilement qu’espéré : le foyer de la crise aux Etats-Unis (le secteur immobilier) reste sinistré, le chômage, à caractère de plus en plus structurel, reste élevé un peu partout et les finances publiques ont pris la relève en tant que nouvel épicentre des fragilités économiques.
Nous assistons sans doute aux prémisses d’une contraction de l’économie occidentale, tout en espérant que le monde entier n’y succombe pas : nous pouvons décider de traverser cette épreuve de façon languissante (via une longue période semi-comateuse en terme de croissance) ou radicale (une récession brutale assumée pour purger le système, avec des risques de dérapage à la clé). Les gouvernements opteront sans doute pour la première solution, lénifiante et donc électoralement plus acceptable, du moins à court terme.
Qu’en conclure pour ce qui est de la Bourse ? Je ne suis pas de l’avis de nombreux commentateurs et analystes qui considèrent que les Bourses sont actuellement bon marché. Pour eux, l’heure serait venue de se repositionner sur des actions comme L’Oréal, Pernod Ricard ou encore Siemens. Prétendre cela revient, selon moi, à présupposer que les pays occidentaux retrouveront à moyen terme une vitalité identique à celle d’avant la crise. Je ne le crois pas.
Sans vous accabler de chiffres, voici la trame de la nouvelle « normalité » que j’entr’aperçois pour les grandes entreprises multinationales, celles qui peuplent les principaux indices (CAC 40, Dax, etc.). La croissance de leurs activités souffrira d’un double effet. D’une part, le dégonflement de la dette (privée et publique) pèsera sur le dynamisme : la demande occidentale ne sera pas au rendez-vous sur fond de léthargie économique. Et la croissance supposée attendue des économies émergentes ne sera pas suffisante pour compenser ce manque à gagner. D’autre part, le réinvestissement des bénéfices dans ces pays émergents se fera à des conditions de rentabilité plus défavorables que par le passé dans les économies développées : l’offre devra être adaptée dans les pays émergents, ce qui ne se fera pas sans coûts ; la concurrence des entreprises locales ira en se renforçant et des accidents de parcours, plus ou moins graves, devront être pris en compte (régimes politiques instables, risques protectionnistes, corruptions, catastrophes naturelles ou industrielles, infrastructures déficientes, …). A plus court terme, ne considérons pas trop vite le moteur économique chinois comme incassable : le système bancaire du pays est sans doute fragilisé par des crédits octroyés trop facilement, là aussi notamment au secteur immobilier. Et n’oublions pas l’impact fiscal : les tensions budgétaires que subissent les Etats pourraient les amener à durcir les impôts des grands groupes, souvent pointés du doigt par l’homme de la rue. La mondialisation heureuse, permettant aux entreprises de s’arc-bouter sur une situation occidentale favorable pour s’installer en force et assez facilement dans les pays émergents, est sans doute derrière nous. Les incertitudes gagneront du terrain, ce qui freinera également le développement des entreprises : après une période optimiste marquée par un crédit abondant et donc par la montée des dettes, entreprises et consommateurs hésiteront à investir et à dépenser. Il est même à craindre que, pour une bonne part, l’argent dormira dans les coffres des entreprises plutôt que d’être redistribué sous forme de dividendes en augmentation.
Je vous l’accorde : le tableau que je dresse ici n’est guère réjouissant. En matière économique, moins qu’ailleurs, le déterminisme ne saurait être une règle absolue. Mais, pour l’investisseur, il est toujours plus pertinent de tabler sur des hypothèses plutôt pessimistes (la fameuse « marge de sécurité ») de façon à éviter les déconvenues les plus cruelles. Croire aujourd’hui que les Bourses sont bon marché et qu’il est possible de facilement ramasser à bon compte de grosses valeurs décotées me semble constituer le plus court chemin vers l’érosion de votre capital.