Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Pour un consultant, la notion de vitesse est complexe.
Le client qui fixe une mission au consultant va souvent lui faire sentir qu’il veut des résultats rapidement. La vitesse c’’est l’efficacité exigée. On imagine difficilement un consultant érigeant la lenteur comme caractéristique d’intervention.
C’est pareil dans l’entreprise : on dira de quelqu’un « il est lent » pour dire « il n’a pas le niveau ».
Aller vite, c’est être champion, leader, le premier arrivé, le succès, la gloire….
Et pourtant, quand quelque chose ne marche pas, ne donne pas les résultats, pour le collaborateur comme pour le consultant, on va changer de discours : ils ont voulu aller trop vite ; on n’a pas « géré le changement », on n’a pas assez écouté », tenu compte de « la culture, des « non-dits », etc. Et alors la vitesse devient le coupable, le signe de ces méthodes de consultant sans âme qui foncent comme des brutes, sans égards pour les facteurs humains.
Regardons ce qui se passe à France Télécom en ce moment, où le dirigeant France, comme le font remarquer les medias sournoisement, est un « ancien consultant ». Forcément, il « impose » des méthodes « dures », il a voulu aller trop vite ; pas étonnant qu’il y ait des suicides. Car, on le remarque en lisant ces commentaires, quand on est consultant, c’est pour la vie, on devient juste « ancien consultant » en changeant de job, mais on ne change pas de caricature.
Alors ?
C’est vrai que la notion de rythme est importante dans la vie d’une entreprise, et dans ce qu’elle entreprend pour se transformer.
Il y a des dirigeants et managers, des consultants aussi, qui voient tout aller toujours trop lentement. Ce que communique souvent cette obsession de la vitesse, c’est la peur : le manager qui met la pression, et demande au consultant de l’accompagner dans cette pression, va se retrouver, s’il n’a pas pris la mesure du rythme de son équipe, de son entreprise, et des différences de rythme d’un collaborateur à l’autre, avec un stress trop fort, au point qu’en le diffusant, il ne va pas parvenir à transmettre son désir de faire avancer tout le monde à un rythme soutenu, mais juste transmettre sa peur. Peur d’échouer, peur de ne pas être au niveau ; peur de perdre la reconnaissance et la légitimité…En œuvrant à ce stress, ils mettent leur équipe, leur entreprise, leur propre corps, en danger.
Observons les réunions tenues avec de tels dangers : l’obsession de couvrir le maximum de sujets, de caracoler, et, sur la fin, d’accélérer, pour traiter les derniers sujets « plus vite », parce que « on n’a pas le temps ». Et si les débats durent « trop longtemps », alors on rappelle à l’ordre pour « ne pas perdre de temps ». Car pour les obsédés de la conduite à toute vitesse, on n’a jamais le temps.
Pour guérir de cette maladie de la vitesse qui nous grise, nous intoxique, au point de ne plus savoir vers où l’on va, à part la mort, il faut peut-être juste se donner l’autorisation de « prendre son temps », de s’autoriser la lenteur, le recul. J’écoutais récemment un professeur d’HEC parlant d’innovation et qui remarquait que les entreprises qui facilitaient l’innovation étaient celles qui avaient du « slack » dans leur organisation : c'est-à-dire du temps libre, des collaborateurs qui ne sont pas absorbés (lessivés ?) par leur poste de travail, mais ont du temps, et des ressources, pour laisser place à l’imagination, à la réflexion, au rêve.
Et dans les réunions qui laissent du temps, il y a aussi un rythme différent ; une maîtrise du déroulement sans être esclave du « manque de temps ». C’est comme une danse, le mouvement est harmonieux, les échanges sont doux (alors que les réunions marathons sont souvent des lieux d’agressivité).
Et ce temps pour flâner, c’est du temps pour vivre.
Bien sûr, passer à une telle philosophie, c’est comme une cure de désintoxication ; ça demande de la patience.
Cela commence par soi-même.
Des exemples : ne pas sauter trop vite de son lit le matin, arrêter son portable quelques …instants (minutes ?, heures ?), arriver en avance à un rendez-vous, ouvrir un livre au hasard, et lire doucement quelques paragraphes, et réfléchir dessus. fermer les yeux et écouter la nature…Notre imagination est de bon secours ; une fois l’intention installée, on trouve plein de choses à faire pour ne rien faire.
Si l’on manque d’idées, lisons, par exemple, « Slow down », de John Hapax, qui nous donne de nombreux exemples d’application. Cela ne parle pas du management et des réunions de nos managers, et encore moins des consultants. Cela parle au cœur.
Et si pour aller loin et réussir, il suffisait de ralentir ?
Vite ! Ralentissons !