Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Vous le savez : en tant que praticien de la finance, je reste convaincu de l’intérêt qu’il y a à garder un œil sur les études publiées par les chercheurs de la discipline. Bien souvent, par recoupements, la recherche et la pratique entrent en résonance, ce qui permet d’enrichir ses connaissances et donc de progresser. A la condition, évidemment, de bien interpréter les résultats.
Ainsi, tout récemment, deux études empiriques, très intéressantes, ont été publiées sur la question de l’allocation d’actifs pour la constitution de portefeuilles diversifiés.
La question posée est celle-ci : sur longue période, y a-t-il réellement moyen de battre une allocation classique (60% actions et 40% obligations, en national ou en international) par une stratégie spécifique ?
Il semble bien que non.
Voyons cela de plus près.
Dans un petit livre, Mebane Faber analyse, sur la période 1973-2013, les stratégies d’investissement popularisées par les grands gestionnaires américains. En fait, quelles que soient la répartition actions/obligations et la part occupée par les actifs internationaux (non américains donc), les performances à long terme sont similaires : le rendement réel (hors inflation) s’établit dans une fourchette comprise entre 5et 6%. Ce qui est essentiellement le résultat également obtenu par une stratégie classique 60/40. Bien entendu, toutes les stratégies ne performent pas au même rythme et linéairement sur la période. Année par année, les rendements différent selon le contexte macro-économique. Idéalement, il faudrait passer d’une stratégie à l’autre avec un sens aigu de l’anticipation des performances. Mais qui est assez habile pour réussir un tel tout de force sur la durée ?
Si la première étude ne m’a pas particulièrement surpris, je dois bien reconnaître que la seconde, qui s’inscrit pourtant dans la même lignée, m’a davantage déstabilisé. Javier Estrada, en effet, revisite le sujet en se demandant s’il est profitable d’adapter la stratégie choisie selon le niveau de valorisation des actifs, en l’occurrence celle des actions. Sur la période 1920-2014, il aménage ainsi l’allocation américaine 60/40 en étendant la partie actions lorsque celles-ci sont « bon marché » et en la réduisant lorsqu’elles sont « chères ». Cette valorisation est déterminée par la méthode classique des multiples (rendement sur dividende, rapports cours/bénéfice ajustés ou non pour le cycle économique). Ici encore, sur la période considérée, il ne voit pas de différence sensible de rendement. Cela peut sembler étonnant. Les actions ne performent-elles pas mieux lorsqu’elles sont bon marché ? Si, sans doute, mais seulement à long terme (sur une moyenne, disons, de 10 ans). Mais un investisseur ne laisse pas son portefeuille inchangé pendant 10 ans. Il continue de le modifier, notamment sur la base de l’évolution de la valorisation, si c’est un de ses critères. Et donc, le plein effet de la valorisation n’a pas le temps de se concrétiser.
Quelle conclusion ? En matière d’allocation d’actifs à long terme, en l’état actuel des connaissances, il ne sert pas à grand-chose de jouer au plus malin. Une fois encore, la clé d’une bonne performance est d’abord d’éviter les erreurs. Adoptez une stratégie de diversification et restez-y fidèles. Probablement, la plus simple est la meilleure. N’oubliez pas de rééquilibrer votre portefeuille régulièrement (une fois par an semble suffisant) pour garder les proportions voulues entre les classes. Crucialement, si la stratégie en elle-même n’a que peu d’impact, les frais jouent un rôle important. Veillez à la minimiser au maximum : pour ce faire, optez davantage pour les ETFs, généralement meilleur marché que les sicav.
Bien entendu, les études sur l’allocation d’actifs vont se poursuivre. Il n’est pas dit qu’il n’y ait réellement rien à faire pour améliorer ce que le marché nous offre. Stay tuned !
Voici les références de ces deux études :
Pour Faber :
Pour Estrada :
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2594612