Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Ne l’oublions jamais : malgré sa parure mathématique, la finance reste une section de la science économique, elle-même une section des sciences … humaines. Et les sciences humaines ont ceci de gênant qu’elles peuvent se modifier sans crier gare, notamment en fonction du contexte dans lequel elles sont appelées à opérer. Dès lors, les « lois » régissant la gestion d’un portefeuille boursier sont éminemment plus instables que celles s’appliquant, par exemple, à la construction d’un pont.
Forts de ce rappel, penchons-nous aujourd’hui sur la question de la diversification, à savoir cette technique de gestion du risque qui postule que la coexistence au sein d’un même portefeuille de plusieurs investissements non parfaitement corrélés permet de minimiser l’impact qu’aurait toute fluctuation négative d’investissement particulier sur la performance de l’ensemble du portefeuille. Cette diversification est encore largement considérée comme LA source de « free lunch » qu’offre la Bourse : elle permettrait en effet de réduire le risque sans affecter le potentiel de rendement.
Je suis tombé récemment sur un document d’une grande banque allemande (la Deutsche Bank, pourquoi ne pas la citer) qui postulait ceci en 2009 à propos de la diversification :
« Lorsque vous diversifiez largement votre portefeuille d’actions, les hausses et les reculs se compensent mutuellement. Une seule question se pose : jusqu’où pousser la diversification ? […] La théorie démontre que, lorsqu’on passe de 1 à 5 titres, le risque diminue le plus rapidement. Entre 5 et 16 titres, le risque est moindre, mais sa diminution est beaucoup moins spectaculaire. Enfin, à partir de 20 titres, le risque diminue encore, mais très lentement ».
Et l’auteur de ce document de conclure qu’au-delà de 30 titres, l’intérêt qu’il y a à ajouter des lignes à un portefeuille d’actions se réduit à peau de chagrin.
Encore aujourd’hui, dans d’autres publications d’autres banques, on peut trouver ce genre d’argumentaire : une vingtaine de titres suffiraient pour assurer une (très) bonne diversification d’un portefeuille d’actions.
Cela revient pourtant à induire l’investisseur en erreur.
Un récent article de Larry Swedroe (je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de lui) sur le site mutualfunds.com explique pourquoi.
Cette fameuse « théorie » dont fait état la Deutsche Bank provient en fait d’études empiriques menées à la fin des années 60 qui avaient en effet statué sur cette règle de 15 à 30 titres maximum.
Le problème est que, depuis les années 60, la finance et le monde économique dans lequel elle s’inscrit ont profondément changé. Notamment, il est apparu que le risque (mesuré par la volatilité) des actions individuelles s’était sensiblement accru alors que le risque global boursier, lui, ne s’était que peu modifié. Dès lors, les corrélations entre les titres se sont réduites. Cela implique que plus de titres sont nécessaires aujourd’hui que par le passé pour constituer un portefeuille diversifié. Depuis une dizaine d’années, de nouvelles études ont fixé la barre à plus de 50 titres et, parfois, à plus de 100 titres. Notamment, une étude datant de 2007 et portant sur le marché américain montre que sur une période de 20 ans (1985-2004), un investisseur devait détenir pas moins de 93 actions s’il voulait réduire à 5% son risque de sous-performer le taux sans risque (obligation du Trésor américain à 20 ans).
Comment expliquer les turbulences touchant les actions individuelles dans la période récente ? La globalisation des échanges commerciaux en est la principale raison : la concurrence est planétaire, ce qui fragilise les entreprises et donc les actions individuelles. Ainsi, près de 40% des actions de l’indice Russell 3000 (les 3000 plus grandes entreprises américaines) ont subi depuis 1980 une baisse permanente de plus de 70% par rapport à leur niveau le plus élevé en Bourse. Et 40% de ces actions sur la même période ont délivré des rendements absolus négatifs. Dans le même ordre d’idées, pas moins de 320 entreprises ont été remplacées dans le fameux indice S&P500 depuis 25 ans pour cause d’affaiblissement de leurs finances.
Chaud devant, chaud !
Dans pareil contexte, l’investisseur doit être réaliste. Même en y consacrant tout son temps (et je ne parle pas ici de son seul temps libre), il ne peut suivre un portefeuille de 50 titres ou plus, alors même que les périodes de fort chahut boursier renforcent le besoin de diversification. Certes, l’étude des fondamentaux des entreprises lui permet de limiter le risque et de concentrer quelque peu son portefeuille par rapport à une sélection de titres à l’aveugle. Mais qu’il prenne garde à ne pas avoir trop confiance en ces capacités en ce domaine. Il suffit à l’imprévu de ne sonner qu’une fois pour affecter sensiblement la performance d’un portefeuille (contrairement au facteur qui, lui, sonne toujours deux fois).
Que faire ? Vous devez pratiquer une séparation mentale stricte entre la gestion d’un portefeuille réellement diversifié (actions, obligations, cash) via des fonds, d’une part et la gestion d’une sélection d’actions individuelles, d’autre part. Pour ce qui est des actions individuelles, sachez que vous vous situez, quoi qu’il arrive, dans une zone de spéculation plus ou moins pure, vu que nous ne posséderez jamais suffisamment d’actions que pour tirer le bénéfice d’une diversification optimale. Donc, plus la part des actions individuelles est grande au sein de la totalité de vos avoirs et plus le risque auquel vous vous exposez est grand également.
Voilà, c’est dit.